La grâce

Ben oui, celle que je préfère, c'est celle de Monaco.

    Qu'appelle-t-on la grâce ?
    En dehors des utilisations métaphoriques (l'état de grâce du chef de l'état s'est-il achevé en un an, trois mois ou trois semaines ?), ce terme est à connotation exclusivement religieuse, ce qui est à mon avis un tort. Un individu (le plus souvent UNE individuE, pourquoi ce sexisme, mon père ?) reçoit sans crier gare une illumination venant d'en haut, qui lui insufle LA Révélation, et lui fait consacrer le restant de son existence à Dieu. La grâce se manifeste par un état de béatitude instantanée, un bonheur immense qui envahit la totalité de l'être, au point de bouleverser sa vie à tout jamais. L'exemple littéraro-philosophique par excellence est celui de Blaise Pascal, qui, je le concède, n'était pas de sexe féminin.

Je ne contesterai absolument pas la véracité de l'expérience, qui touche des individus lambda, n'importe où dans le monde. J'apporterai simplement quelques remarques de raison, et une expérience personnelle.

En terre chrétienne, l'Inspiration vient du Dieu des chrétiens. En terre musulmane, elle vient d'Allah ; de Jehovah en terre juive. Je ne me suis pas renseigné, mais il est hautement probable qu'ailleurs elle puisse provenir de Bouddha ou de Vichnou, de même qu'Isis ou Eleusis avaient leurs mystiques illuminé(e)s dans l'Antiquité. Autrement dit, c'est à chacun selon sa religion. Où est la Vérité unique ?
Certains mystiques reçoivent en même temps les stigmates du Christ : des plaies ouvertes au creux des mains, aux pieds et sur le front, qui saignent spontanément à intervalles réguliers. Ceci en Occident exclusivement, bien sûr. Or, aucun condamné n'a jamais été ainsi cloué, des expériences macabres l'ont montré depuis longtemps : au minimum, les clous auraient dû être plantés dans les poignets pour éviter que les chairs ne s'arrachent (et avez-vous déjà essayé de clouer deux pieds l'un sur l'autre ?...). La réalité historique montre que les crucifiés n'étaient pas cloués, mais attachés par des cordes, sur une fourche plus ou moins en forme de T (la croix que nous connaissons est une représentation du VIIème siècle, nulle représentation n'ayant été faite auparavant). Le supplice venait du fait qu'ils devaient tirer sur leurs bras pour respirer. Ils mettaient entre cinq et dix jours pour mourir de soif et d'épuisement, à comparer avec les cinq heures théoriques du Christ (crucifié à 10h, officiellement décédé à 15h). Qu'est-ce que je veux dire ? Que les stigmates de ces mystiques sont conformes non à la réalité historique, mais à leur catéchisme, élaboré bien des siècles après, selon des textes soigneusement choisis, le plus récent ayant été rédigé près d'un siècle et demi après les supposés événements.

    Il y a un certain nombre d'années, j'ai connu une période difficile, où je me trouvais dans une tension extrême, supportant difficilement ma situation professionnelle. Un jour, me rendant au travail, j'ai ressenti brutalement sur la route une profonde illumination, un état de bonheur intense et instantané, avec la révélation que ma situation allait changer dans la journée, et tous mes problèmes se résoudre miraculeusement. Jamais je n'oublierai ce grand éclair qui m'est tombé dessus sans prévenir. J'ai passé la journée dans une euphorie indicible.
    Le soir, rien ne s'était passé. Le lendemain non plus, ni les jours suivants. La pensée qui me vint le soir même fut : Blaise Pascal s'est fait rouler.

J'ai rarement raconté cette aventure. Mais elle peut faire réfléchir, et inciter à relativiser. Je crois que les forces mentales sont puissantes. Un état de tension extrême engendre une attente considérable, dont l'individu n'a pas totalement conscience. L'inconscient peut décider de résoudre définitivement le problème, dans une sorte de décharge (d'endomorphine ?), un grand relâchement, qui engendre une certitude totale, en même temps qu'un état de bonheur extrême. La raison montre pourtant que les certitudes sont toujours trompeuses, mais certains individus deviennent définitivement hermétiques à la raison, persuadés que l'illumination leur est venue de l'extérieur, alors qu'elle a été engendrée à l'intérieur. C'est ainsi que se forment les mystiques et les prophètes, même si l'Histoire montre que les prophéties sont presque toujours démenties.
Bien sûr, c'est
mon hypothèse, et elle n'empêchera jamais les croyants de croire à la révélation divine, l'esprit humain est ainsi fait.