page précédente

AUX SOURCES DU LANGAGE

La communication - Les animaux - Hypothèses anciennes - Préhistoire -

Depuis quand parlons-nous ? A quelle étape de la préhistoire nos ancêtres ont-ils commencé à articuler des sons porteurs de signification ? Bien malin qui saurait le dire dans l'état actuel des connaissances ; et faute d'une caméra à explorer le temps, nous risquons d'en être longtemps encore réduits à des hypothèses.

Ces hypothèses existent néanmoins, fort nombreuses même, tant il s'agit là d'un thème qui excite l'imagination, puisqu'il concerne l'humaine nature. Dans les siècles passés, théologiens, philosophes et scientifiques, déjà bien avant Darwin et les paléontologues modernes, se sont efforcés d'expliquer comment et pourquoi la parole est venue aux hommes plutôt qu'aux animaux. Les mythologies, bien sûr, racontent qu'il s'agit d'un don des dieux, ou de Dieu. Il en est de même, et plus encore, de l'écriture, si mystérieuse pour celui qui ne sait pas. Dans la Bible, la création se fait par le Verbe, c'est-à-dire la parole. Cet attribut divin est aussi un attribut humain, le pouvoir créateur en moins. Ce qui suppose parallèlement une langue unique, originelle (on a cru longtemps en Occident qu'il s'agissait de l'hébreu), mise à mal par l'épisode de la Tour de Babel. Gardons-nous néanmoins de confondre langue et langage, et tenons-nous en aux hypothèses les plus rationnelles.

Le bon sens, tout d'abord, veut qu'il s'agisse là d'un phénomène progressif, d'une évolution lente dans la préhistoire. On imagine mal, suite à une surprenante mutation,  un petit surdoué naissant dans une tribu pré-néantertalienne avec une capacité innée et un bagage de mots dans la cervelle, voire une capacité à construire spontanément des phrases complexes. Le langage fut une découverte collective, en même temps qu'un facteur de cohésion sociale. Toute espèce vivante, d'une certaine façon, possède un ou plusieurs moyens de communication qui  permettent la reconnaissance des congénères, les rapports et les hiérarchies entre congénères, etc. L'espèce humaine, elle, a développé particulièrement un langage articulé oral à la mesure de ses facultés d'abstraction et de communication, dont la propriété principale a été définie par les linguistes, à savoir ce qu'on appelle la double articulation du langage :

Afin de faire le point sur la question, nous ferons d'abord le tour des modes de communication jusqu'à ce jour inventoriés dans les espèces vivantes, puis celui des principales hypothèses échafaudées dans l'histoire, avant de faire le bilan des découvertes les plus récentes.

I - La communication

Une espèce qui ne saurait communiquer serait une espèce condamnée. Imaginons même qu'elle soit réduite à un seul individu, a priori immortel sauf accident, celui-ci aurait au minimum besoin de percevoir le milieu qui l'entoure, et d'avertir les prédateurs qu'il ne constituera pas une proie facile. Or, montrer les crocs, par exemple, est une forme de communication. Selon les espèces, Dame Nature a développé nombre de moyens tous plus ingénieux les uns que les autres :

    Communication auditive :

La production et la réception des signaux acoustiques sont la base de notre langage articulé. Toutes les espèces animales développées émettent des cris : peur, défense, attaque, domination, séduction, joie, douleur... Certaines espèces possèdent un répertoire fort élaboré. On trouve ainsi chez les oiseaux une variété considérable de cris et de chants, avec, selon certains spécialistes, une amorce (relative) de langage : un apprentissage, des « dialectes » différents entre des familles différentes habitant des bosquets différents ; et même, cela s'est vu, ou plutôt entendu, un enrichissement du répertoire par l'imitation des sonneries de téléphones portables... Nous y ajouterons les ultrasons des dauphins, les infrasons des baleines et leur chant si mystérieux. Gardons-nous de l'anthropomorphisme, mais ne prenons pas trop les animaux... pour des bêtes. Tous les aspects propres au langage humain se trouvent en germe, partiellement et à des degrés différents, dans les espèces animales évoluées. Nous évoquerons cet aspect un peu plus loin.

 

    Communication visuelle :

Dans l'espèce humaine, on se référera aux gestes, aux signes, aux symboles dessinés ou colorés, le code de la route en est un exemple type. On y ajoutera l'écriture, particulièrement pictographique ou idéographique. Chez les animaux, les postures, mimiques, attitudes. La coloration du pelage ou du plumage n'entre pas en ligne de compte, ce sont des aptitudes développées par l'espèce. Cas particulier : l'émission de lumière, chez les vers luisants, les lucioles ou les habitants des abysses, dans la mesure où elle est déclenchée, et fonctionne selon un code (toujours le même discours : reconnaissance, séduction, reproduction). Autre cas particulier : les figures (en 8) des abeilles, qui s'appuient sur un code visuel, entre autres.

 

    Communication chimique et olfactive :

Très marginale dans l'espèce humaine, elle est fondamentale chez les insectes, les fourmis par exemple, dont la communication repose essentiellement sur des émissions de phéromones. Un papillon mâle pourra retrouver la piste de sa gente dame avec quelques molécules de son parfum préféré par mètre cube, faites-en autant ! On y ajoutera aussi bien le marquage du territoire chez les mammifères, par les moyens les plus naturels, celui du matou du voisin dans le jardin ou du rhinocéros dans la savane. Et n'oublions pas les plantes, spécialistes en la matière. Certes, rares sont les espèces à utiliser leurs signaux chimiques de manière, peut-on dire, volontaire, et élaborée, mais c'est le cas des espèces sociales chez les insectes, voire de certaines plantes. Imaginez ainsi la situation suivante, qui n'est pas rare dans la savane : un troupeau d'antilopes déniche un bosquet d'acacias, et commence à ravager consciencieusement le premier arbre ; en peu de temps, les autres acacias se mettent à concentrer des tanins dans leurs feuilles, ce qui a pour effet de les rendre immangeables ; le premier arbre a été sacrifié, mais les autres sont sauvés. Comment la communication s'est-elle effectuée ? Probablement pas par télépathie, mais par signaux chimiques.

 

Outre ces trois modes fondamentaux de communication, sans tomber dans la science-fiction, on relèvera encore :

    La communication électrique :

Chacun connaît les poissons-torpilles, ne serait-ce que celui qui faillit foudroyer Tintin au cours d'une plongée. Le muscle est naturellement producteur d'électricité ; l'avantage de ces poissons et de quelques autres variétés, c'est la coordination des cellules musculaires, qui produit ainsi un effet d'accumulateur. La décharge électrique est une arme, de défense et d'attaque. Mais c'est aussi un mode de communication, dont le code utilise la périodicité, l'intensité et toutes les modulations du signal. Voici quelques exemples de « messages », en ...traduction : Je ne suis pas une proie / Je suis le plus fort / Tu es le plus fort, je me soumets / Je suis un mâle / Je suis une femelle / Je suis immature, veuillez respecter ma virginité...

 

    La communication magnétique :

Certains animaux, des serpents particulièrement, sont infiniment plus sensibles que nous au magnétisme. Songeons aussi aux pigeons, qui nous ridiculisent avec nos boussoles, nos cartes et notre GPS. Mais il s'agit là de perceptions. Rien n'interdit d'envisager des émissions et un code, puisque nous envoyons bien des ondes électro-magnétiques. On n'a pas encore déniché d'animal disposant d'un électro-aimant naturel et modulable ; toutefois, le cas le plus intéressant est celui des abeilles, dont le corps emmagazine des cristaux de magnétite (des oxydes de fer ; elles n'en possèdent pas de naissance), et il semble bien que leurs célèbres danses ne reposent pas seulement sur un code visuel, mais utilisent bien aussi le magnétisme, peut-être en liaison avec celui de la Terre. Le magnétisme entrerait aussi en jeu dans les rapports hiérarchiques des sociétés d'abeilles.

 

    Autres :

  • Tactiles : gestes d'amitié ou d'agressivité, poignées de main, bises ou baisers langoureux, la communication tactile est souvent spontanée, et elle est indispensable aux rapports sociaux. On notera qu'avant nous, certains singes ont inventé la tape sur l'épaule et la poignée de main, c'est une découverte récente. L'épouillage n'est pas chez nos cousins une gourmandise ou une mesure d'hygiène, il sert à fonder les rapports hiérarchiques. Les bonobos, particulièrement, ont développé une gamme originale de signaux tactiles, où l'érotisme vient utilement désamorcer l'agressivité, c'est peut-être un exemple à suivre...
  • Vibratoires : les araignées, outre qu'elles perçoivent évidemment et interprètent les vibrations de leurs toiles, communiquent aussi entre elles par ce moyen, par exemple pour avertir une intruse que la place est déjà occupée. Plus près de nous biologiquement, les éléphants, qui perçoivent et transmettent des vibrations dans le sol sur plusieurs kilomètres, ce qui montre que le pied aussi peut être un organe de communication.

 

page suivante Suite : Les animaux ont-ils un langage ?