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LIAISONS ENTRE ÉLÉMENTS DE MÊME STATUT

Page précédente : les différentes constructions

II - ASPECTS SYNTAXIQUES

Nous allons à présent détailler ce qui concerne la coordination et la juxtaposition, et relever ce qui différencie ces constructions de la subordination. Ce qui va être dit de la coordination concerne aussi généralement la juxtaposition.

1) Les éléments coordonnés

Contrairement à la subordination, la coordination concerne autant des mots ou des syntagmes que des éléments phrastiques. Pour subordonner des mots ou des syntagmes, il faudrait utiliser des prépositions : celles-ci introduisent des compléments, de même que les conjonctions de subordination introduisent des subordonnées compléments. On pourra dire, au sens large, qu'une préposition subordonne un syntagme au verbe, mais le nom "une subordonnée" n'est utilisé que pour un élément phrastique.

Il était bête, mais travailleur.

On analyse en fait cette coordination comme un effacement, une ellipse :

Il était bête, mais il était travailleur.

Si, au lieu de bête, on met pas intelligent, l'effacement ne peut pas se produire :

*Il n'était pas intelligent, mais travailleur. / Il n'était pas intelligent, mais il était travailleur.

L'ellipse est rare, car souvent incorrecte (= car elle est souvent incorrecte).

Ce n'est pas n'importe qui, qui fait ça. Et on ne fait pas ça pour n'importe qui. Or Tremblet aurait pu s'appeler Monsieur N'Importe Qui. (Simenon)

L'ellipse est impossible avec or. Cette conjonction représente un cas-limite dans la coordination, car nous ne sommes plus dans le cadre de la phrase complexe : on coordonne deux phrases, voire une phrase avec toute la partie du discours qui précède. A l'inverse, avec et en particulier, on est dans le cadre de la phrase simple, avec une seule proposition :

Pierre et Paul se disputaient. / Pierre se disputait avec Paul.

Dans cet exemple, le verbe se met au pluriel, avec deux sujets obligatoires, ou un sujet obligatoirement pluriel ; ou bien il change de construction, avec un COI obligatoire. Nous sommes indiscutablement dans la phrase simple, on ne peut pas parler d'ellipse. Ces limites extrêmes, dans les deux sens, sont bien une caractéristique de la coordination, et une différence avec la subordination.

En fait ce sont les caractéristiques sémantiques de ces conjonctions qui entraînent les caractéristiques syntaxiques. Ainsi, et, la plus neutre, coordonne n'importe quoi ; pour car et or, les exigences sont beaucoup plus fortes.

2) Les critères de la coordination

La coordination se distingue de la subordination par un certain nombre de critères (en particulier, attention à car, trop souvent analysé fautivement comme une conjonction de subordination, à cause de sa force particulière).

On coordonne des éléments de même nature. Il peut parfois y avoir des équivalences, comme entre un adjectif, un groupe nominal de même valeur, et une subordonnée relative :

Un meuble remarquable, de grande valeur, en merisier massif, et que j'avais acheté lors d'une mise aux enchères.

A l'inverse, on ne peut coordonner des éléments qui sont syntaxiquement incompatibles :

*Cet homme est désagréable et un imbécile.
*Cet enfant aime et obéit à ses parents.
*Nous fûmes introduits par la porte et par le majordome.
*Je crains et je sais qu'il ne viendra pas.
*Il doit de l'argent et le rendre rapidement.

Autrefois, cela était pourtant admis :

Un vieux moine très savant lui enseigna l'Écriture sainte, la numération des Arabes, les lettres latines et à faire sur le vélin des peintures mignonnes. (Voltaire)

Même sémantiquement, il doit y avoir compatibilité :

*Un chèque postal et important.

Note : une rupture syntaxico-sémantique peut produire un effet, généralement humoristique :

Il tira une lettre de sa poche et de sa poitrine un soupir.
J'ai fait des bêtises un peu partout et à Cambrai
. (Fernand Raynaud)

La conjonction de coordination se place obligatoirement au milieu des deux éléments coordonnés. Quand une phrase commence par une conjonction, c'est qu'elle est reliée à la phrase précédente ; ou bien que la conjonction ne sert plus de conjonction, mais qu'elle permet une relance :

Et dire que je croyais avoir tout bon !

Les déplacements permettent en particulier de vérifier que car n'est pas une conjonction de subordination, et ne se comporte pas comme parce que :

*Car il pleuvait, j'ai pris mon parapluie.

[à propos d'un itinéraire routier informatique] Quelquefois, il te dit : "Première à gauche après le château d'eau. Et en fait, il n'y a plus de château d'eau. Tu sais pourquoi ? *Car il vient de 1992 !" (phrase d'enfant authentique, à peu près incomphéhensible [= le programme informatique date de 1992])

Dans une certaine mesure, mais avec quelques restrictions, une proposition coordonnée ou juxtaposée conserve son autonomie énonciative, son type de phrase particulier. Ce n'est jamais le cas d'une subordonnée, qui ne peut conserver son autonomie comme phrase interrogative ou impérative : c'est la principale qui détermine le type de la phrase :

Je me demande ce qu'il lui a pris. (*Je me demande qu'est-ce qu'il lui a pris ?)

La juxtaposition permet toujours de conserver le type énonciatif de la 2ème phrase :

La porte est ouverte, entrez !
Je n'en ai plus, voulez-vous que j'en commande ?

Pour la coordination, on notera quelques restrictions ; la deuxième proposition peut être interrogative, mais pas exclamative :

Tu avais gagné des millions, et qu'en reste-t-il ?
Ne ne pouvons qu'être déçus de son départ, car qui avons-nous eu à sa place ?...
*La porte est ouverte, et entrez !

Par contre, les deux propositions juxtaposées ou coordonnées sont souvent, sans aucun problème, du même type énonciatif :

Souhaitez-vous vous en procurer, et voulez-vous que j'en commande ?
Entrez et fermez la porte !
Ne sommes-nous pas déçus de son départ ? Car qui avons-nous eu à sa place ?...

Si c'est la première proposition qui est d'un type non assertif, il peut y avoir quelques difficultés :

Ne sommes-nous pas déçus de son départ ? Car nous avons eu à sa place un incapable qui...
Entrez ! La porte était ouverte.
*Entrez ! Et la porte était ouverte.

Tout cela est donc à comparer avec la subordination, où seule la principale conserve son type énonciatif.

Chaque élément coordonné reste autonome, c'est-à-dire ne subit pas d'influence de la part de l'autre élément. Cela doit pouvoir se justifier par suppression du coordonnant, auquel cas on revient à la juxtaposition. On peut aussi isoler par des points les propositions coordonnées, qui deviennent des phrases à part entière.

L'influence syntaxique, ce serait non seulement l'impossibilité pour un des membres de former à lui seul une phrase correcte, mais aussi par exemple une contrainte modale. Il n'y a aucune contrainte modale entre les propositions coordonnées ou juxtaposées :

On n'entendait aucun bruit dans la maison : soit tout le monde était parti, soit les gens étaient endormis.
On n'entendait aucun bruit dans la maison, soit que tout le monde fût parti, soit que les gens fussent endormis
.

On peut mettre en relief une subordonnée conjonctive circonstancielle par enchâssement à l'aide du présentatif c'est... que, mais pas une indépendante introduite par exemple par car :

Elle se méfiait de lui car / parce qu'elle le connaissait.
C'est parce qu'elle le connaissait qu'elle se méfiait de lui.
*C'est car elle le connaissait qu'elle se méfiait de lui.

3) Les cas-limites

Quand on a une apparence de coordination ou juxtaposition et que les conditions ci-dessus ne sont pas respectées, on est en fait dans une situation différente :

1. Moins je le vois, mieux je me porte.
2. Chauffe un marron, ça le fait éclater.
3. Je te l'aurais dit, tu ne m'aurais pas cru.
4. Fussiez-vous l'empereur de Chine, je ne vous prêterais pas un radis.
5. Lui signalait-on une erreur, il la corrigeait immédiatement.
6. Il a beau insister, personne ne l'écoute.

Dans tous ces cas, on sort de la juxtaposition ou de la coordination, sans être franchement dans la subordination. On parle alors de subordination implicite, c'est-à-dire non exprimée par les termes adéquats. Il faudrait effectuer une transformation pour obtenir les subordonnées correspondantes (c'est un exercice qu'on peut demander).

Chapitre III : aspects sémantiques