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LIAISONS ENTRE ÉLÉMENTS DE MÊME STATUT

(constructions, aspects syntaxiques et sémantiques)

Nous nous intéresserons particulièrement à la coordination et à la juxtaposition, mais la liste n'est pas close ; cela concerne principalement les éléments phrastiques, mais aussi les mots ou les groupes.

A noter que dans l'histoire de la grammaire, la notion de coordination n'a été isolée que vers la fin du XIXème siècle ; on a d'abord appelé "coordonnées" les propositions reliées par et, mais, etc. ; la notion de coordination a été étendue plus tardivement aux mots et groupes de mots.

Différentes notions utilisées ici sont développées dans la leçon sur l'énonciation.

I - LES DIFFÉRENTES CONSTRUCTIONS

Toutes les constructions que nous allons envisager ont un point commun : nous ne sommes pas dans la subordination, il n'y a pas de liaison syntaxique entre les éléments. Certains cas posent pourtant problème.

1) Les insertions

Il arrive souvent qu'on insère dans le cours d'une phrase un terme, un mot, un groupe ou une autre phrase :

Fichtre ! je vous réponds bien que j'ai eu peur, moi. (Maupassant, La Peur)
Qu'est-ce que je vais devenir,
mon Dieu, si cette dame se trouve mal ? (Daudet)

On ne peut pas considérer que cette interjection (faible, pour la 2ème : pas de point d'exclamation) appartienne à la phrase ; ce n'est pas analysable grammaticalement, il n'y a aucune liaison avec un élément quelconque de la phrase. C'est un mot-phrase en incise, qui ne sert qu'à exprimer un certain état d'esprit du locuteur, et qui correspond à une sorte de cri, ou de soupir. On peut rapprocher cela de la phrase exclamative et des modalités d'énonciation (voir la leçon correspondante) : la phrase exclamative, ou le mot-phrase exclamatif, forme un type un peu bâtard.

Vous dites, commandant, que vous avez eu peur ; je n'en crois rien. (Maupassant, id.)

L'apostrophe non plus n'est pas syntaxiquement inscrite dans la phrase : on n'analyse pas comme "apostrophe de tel mot". C'est à relier, cette fois beaucoup plus nettement, aux modalités d'énonciation : cela constitue un acte de langage, directement adressé à un interlocuteur, et qui consiste à l'interpeller ; c'est le plus souvent relié à la phrase injonctive ou interrogative. Rappel : l'interjection, elle, ne concerne que le locuteur seul (on peut pousser un juron quand on est seul, c'est même fréquent !).

Plusieurs cas peuvent se présenter.

En ce qui concerne la ponctuation : la remarque peut se faire entre parenthèses, ou entre deux tirets, ou encore entre deux virgules ; il peut y avoir là une nuance sur le plan sémantique : le rôle de chacun de ces signes n'est pas forcément identique.

Dans le cas d'une parenthèse ou d'une expression entre tirets, il s'agit souvent d'une phrase, ou d'une phrase elliptique. C'est une intervention directe de l'auteur si l'on est dans un récit, ou du locuteur si on est dans le dialogue. Nous sommes donc complètement dans les modalités d'énoncé. Par exemple, un auteur sort de son récit, ou prend une certaine distance par rapport à ce récit ou au comportement de son personnage :

1. Mme Fontanier (voici que le nom de notre compagne de voyage me revient) se moqua d'elle. (G. Sand)
2. Elle avait secoué la tête, prétendant qu'elle ne me croyait pas
- c'est sournois, les filles -, mais son regard avait brillé d'une lueur plus vive. (Georges Magnane)

Dans ces 2 premiers exemples, la phrase ainsi placée n'entretient rigoureusement aucune liaison syntaxique avec le discours dans lequel est elle incluse. Dans le 1er exemple, l'auteur coupe son récit au passé par une remarque qui appartient à son propre présent, ce qui explique bien sûr le changement de temps (présent véritable). Dans le 2ème, c'est une remarque du même type, mais qui va plus loin : apparemment, l'auteur donne son avis ; en réalité, c'est un avis du personnage, qui est ici le narrateur, peut-être l'auteur quand il était jeune. C'est donc à prendre au second degré : l'auteur se moque sans doute de ce qu'il pensait des filles quand il était enfant. On est donc complètement dans les modalités d'énoncé.

3. Mon voisin, pour trois fois rien d'ailleurs, a vendu sa maison.

Dans ce 3ème exemple, nous sommes toujours dans les modalités d'énoncé, mais le groupe entre virgule, plus léger, est en relation syntaxique avec la phrase ; c'est à analyser comme un syntagme circonstanciel.

4. L'été, je le crains, sera pluvieux.
5. Oui, ma juste fureur,
et j'en fais vanité,
A vengé mes parents sur ma postérité
. (Racine)

Ici, l'incise est une phrase, à nouveau, mais dans une situation différente de celles qui précèdent. On pourrait utiliser des parenthèses, mais ce serait trop fort. Syntaxiquement, cette phrase n'entretient aucune liaison avec celle où elle est incluse, elle est donc indépendante ; dans l'exemple 5, il y a en plus coordination. Sémantiquement, le pronom le ou en remplace la phrase entière qui contient l'incidente. Il y a donc liaison sémantique, de la même façon qu'un pronom personnel est en relation anaphorique avec son antécédent. On peut parler ici aussi d'anaphore, bien que l'énoncé ne se termine que plus loin : en cataphore.

6. Dites-moi donc, demanda la marquise, si vous avez fait bonne chasse.

Cas différent : le dialogue est souvent coupé de ces phrases courtes qui désignent le personnage qui parle. C'est un entrecroisement de deux discours. Pour reprendre les notions élaborées par Benvéniste, une phrase de discours contient en incise une phrase relevant de l'histoire.

Syntaxiquement, que se passe-t-il ? Aucun terme ne relie les deux phrases ; ni subordination, ni coordination donc. Pourtant, 1) le sujet du verbe demander est inversé, ce qui n'est pas normal dans une indépendante assertive ; 2) le verbe demander se construit avec un COD : or, il n'en a pas ici ; cette absence est bien un élément concernant le contexte et la syntaxe du verbe.

Il y a donc une relation syntaxique entre les deux phrases. On peut considérer que le discours du personnage est en situation de COD du verbe demander, sans qu'il y ait liaison explicite. La présence d'au moins une fraction du discours devant le verbe entraîne l'inversion du sujet ; si le verbe introducteur se trouvait à la fin du récit, avec deux points, il n'y aurait pas d'inversion :

La marquise demanda : "Dites-moi donc..."

Nous sommes ici dans un de ces cas intermédiaires et épineux où il n'y a pas formellement subordination, mais où la séparation n'est quand même pas totale : on peut parler de subordination implicite.

2) La juxtaposition

Il y a juxtaposition lorsque la phrase complexe est formée d'une suite de deux ou plusieurs propositions qui pourraient être considérées chacune comme des phrases autonomes, et qui ne sont séparées que par une ponctuation faible à l'écrit (virgule, ou deux points), et une pause faible à l'oral. Le rapport entre les éléments de phrase n'est marqué par aucun mot de relation :

Les chiens aboient, la caravane passe.

Chacune des propositions juxtaposées a le même statut, la même fonction syntaxique, que les autres, et que la phrase globale dont elle est un élément (1 + 1 = 1...). Par exemple, des indépendantes peuvent être juxtaposées, ou bien une indépendante, avec une principale et ses subordonnées :

Le temps était lourd, on voyait des nuages noirs qui s'amoncelaient.

Par rapport à la coordination, quand on a des éléments juxtaposés, cela signifie souvent que la liste n'est pas close, du moins quand ce sont des mots juxtaposés ; d'ailleurs, la liste peut se terminer par des points de suspension :

Il nous faudrait des sacs, des cordes, des lampes-torches...

3) La coordination

Il y a coordination lorsque la phrase complexe est formée d'une suite de propositions de même statut, de même fonction syntaxique, et reliées entre elles par une conjonction de coordination : c'est la seule différence formelle avec la juxtaposition. Les deux constructions sont syntaxiquement semblables :

Les chiens aboient, mais la caravane passe.

La liste des conjonctions de coordination est limitée : mais - ou - et - or - ni - car (donc est en fait un adverbe). D'autres mots ou locutions sont à rajouter, comme c'est-à-dire, c'est pourquoi, voire, etc. Certains adverbes peuvent jouer le même rôle, comme puis, pourtant, etc.

La coordination est d'ailleurs souvent renforcée par un adverbe : et puis, ou bien, et par conséquent... ; la conjonction est rigoureusement au milieu, entre les deux éléments coordonnés ; l'adverbe est toujours en 2ème, il est mobile, et non nécessaire. La mobilité de donc prouve qu'en fait c'est un adverbe.

4) La corrélation

C'est une forme particulière de coordination : on parle de coordination par corrélation ; deux mots de liaison sont utilisés, assez souvent deux fois le même, au début de chaque proposition :

Soit je paye comptant, soit je fais un crédit.
Plus je connais les hommes, plus j'aime mon chien. / Plus je connais les hommes, moins je les comprends.
Autant l'un était bavard et brillant, autant l'autre était discret et taciturne.
Non seulement il ment, mais en plus il s'en vante !

La corrélation s'utilise surtout dans des cas d'alternative ou de comparaison ; d'autres valeurs sémantiques sont possibles, comme dans le dernier exemple. (Rappel : la corrélation ne concerne pas seulement la coordination ; ex : adverbes ne... pas, ne... que ; conjonctions en corrélation avec un adverbe, dans la conséquence : si... que...)

Chapitre II : aspects syntaxiques