Vous
avez bien lu : il n'est pas question que je me prétende luthier,
même amateur. Un luthier est un artisan spécialisé, qui a
appris son métier auprès d'un maître, et qui continue à
l'apprendre toute sa vie. Je respecte et j'admire les luthiers. Dans les années 1970, où le folk
commençait à se développer en France, il y avait des gars
qui s'auto-proclamaient luthiers, et construisaient des épinettes, voire
des dulcimers (plus compliqué, il faut tordre le bois à la vapeur), qu'ils se permettaient de vendre.
Au bout d'un moment, le mauvais bois se décollait, et l'on pouvait discerner
la marque des cagettes d'oranges utilisées pour construire l'instrument. Ce
n'est pas mon cas. Je ne vends pas (j'insiste, car quelqu'un a déjà
essayé de me passer commande). D'ailleurs, ma guitare est unique au monde,
elle est donc inestimable. J'ai construit cette guitare vers 1990, et je l'ai modifiée plusieurs fois, encore récemment. Ce
qui est pratique, avec une guitare de bricoleur, c'est qu'on peut continuer
à la bricoler longtemps après. Vous en verrez donc plusieurs états
sur les photos.
Mon
but était de construire entièrement une guitare électrique,
avec les moyens du bord. Et le but de cette page est de vous inciter à
en faire autant, si vous en avez la patience. Mes moyens, ce sont mes outils de bricoleur, perceuse,
scies, ciseau à bois, râpe, lime, etc. C'est aussi ma minutie, mon coup
d'oeil, et mon obstination. Mon intention était aussi qu'elle me coûte
le moins possible. Sinon, je me serais acheté une Gibson, hein ?
J'aurais pu aussi acheter un kit, j'y ai pensé, mais ce n'est pas faire
soi-même. Construire, c'est un défi qu'on se lance, où l'on
prend le risque d'échouer. Si on réussit, on se fait un objet
d'art qui ambitionne l'image de ses fantasmes (c'est beau, ce que je dis
là). D'ailleurs, je fais aussi mon pain, avec de la farine bio mi-complète
et des graines de lin broyées, il est excellent (v'z'en foutez, hein,
avouez !).
Vue
par la tranche pour indiquer l'épaiseur.
Autrefois,
mon copain François, à la fin des années de la Grande
Folque (voir cette page), m'avait
dit : c'est possible de se faire une guitare électrique, mon frère
Paul s'en est fait une, et il a utilisé du bois de chêne. Il me
l'a montrée, c'était une basse. J'ai toujours gardé cela
en mémoire. Quand j'ai eu l'envie d'essayer, j'ai d'abord réfléchi
aux bois. Pour
le corps de la guitare, j'avais un bout de madrier en sapin bien
sec, récupéré
longtemps avant dans les chutes d'un cousin menuisier. Epaisseur 6 cm ; largeur 17
cm ; longueur 80 cm (je n'ai pas mesuré à l'époque,
je me fie aux dimensions actuelles de ma guitare). Je l'ai coupé en deux,
et ai collé les deux morceaux côte à côte, ce qui
me donne un rectangle de 40 x 34 x 6, dans lequel je peux tailler le corps de
guitare. Les fibres dans le sens de la longueur, surtout. Comme j'avais envie d'une Les Paul, j'ai donné à peu
près cette forme. Le tout, au pifomètre, ou à vue de nez, comme on voudra.
J'ai dessiné sur le bois, et j'ai taillé. Je n'ai pas d'instruments
de luthier, et la scie sauteuse se serait cassée dans cet effort. J'ai
donc percé (à la perceuse, of course) une série de trous
le long de mon dessin, en prenant de la marge. Dans les trous, j'ai pu finir
à la scie sauteuse. Puis, c'est le travail de la râpe à
bois pour achever le contour, et ponçage manuel pour finir, au papier
de verre (je n'avais pas de ponceuse à l'époque). Penser à
adoucir l'angle là où la guitare pose sur le thorax. Au centre,
je creuserai ensuite l'emplacement où coller le manche, et les emplacements
prévus pour trois micros. Toujours avec la perceuse, en complétant
avec un ciseau à bois affûté et de petites meules au bout
de la perceuse. Travail de bricoleur, je vous dis, je n'ai pas de défonceuse.
Au dos, de la même façon, deux espaces creusés délicatement
pour accueillir d'un côté les
potentiomètres et de l'autre un inverseur ; une petite plaque de bois
pour les recouvrir, extraite de la surface en chêne d'une lame de parquet,
dans la première version. Là,
j'ai donc découpé dans un bloc massif ; il est nettement
plus facile d'utiliser deux beaux bouts de planches rabotées qu'on collera
ensuite, comme j'ai fait pour ma mandoline
électrique. Cependant, ce bout de madrier m'a permis de bien respecter
les fibres du bois. Pour
le manche, il me fallait du bois dur et rigide. Je n'ai ni les moyens ni le
savoir-faire pour coller une touche et poser une tige de réglage (truss
rod). J'ai
utilisé une barre de chêne achetée à Casto, 60 x
6 x 2, si je me fie à ce qu'il en reste. Les fibres dans le sens de la
longueur, bien sûr. Travaillée à la
râpe, arrondie en-dessous, et un peu au-dessus pour donner
un manche légèrement incurvé, affinée en arrivant
à la tête. Pour donner l'inclinaison de la tête, j'ai scié
au-dessus (scie à métaux), en biais, un morceau que j'ai recollé
au-dessous. Le manche est collé dans l'emplacement creusé dans
le corps. Les interstices sont colmatés avec une pâte à
bois maison, faite avec de la sciure de chêne et de la colle à
bois. Pour placer les frettes, une première entaille à la scie
à métaux, complétée avec un instrument plus fin
(comme une lame de cutter), petits coups de maillet pour enfoncer, c'est un travail de patience. Des coups de lime
pour égaliser sur les côtés. Avantage du chêne
frais quand on le travaille : il exhale le parfum de mon Saint-Emilion
préféré. Les
pièces mécaniques. A l'époque, le commerce sur Internet
n'existait pas. J'ai trouvé des frettes (à scier)
chez un marchand
de musique qui avait ça dans ses réserves depuis fort longtemps,
il m'a souhaité bonne chance... Il avait aussi des points en nacre
qui feraient les repères sur le manche. J'avais trouvé chez lui
précédemment d'autres éléments décoratifs,
incrustations en nacre que j'ai mises sur mon banjo 4 cordes, je ne trouve
plus cela aujourd'hui en magasin, mais il y en a sur Internet (Ateliers Delaruelle). J'ai acheté le jeu de 6 mécaniques
(petite taille). J'avais des pièces de récupération :
un inverseur (ça se trouve, par exemple chez Milonga, on trouve aussi
des potentiomètres), et des pièces de ma Telecaster sur laquelle
j'avais monté un kit complet en laiton, en particulier le chevalet, que
j'ai scié pour enlever la partie qui tient le micro. Le sillet au niveau de la tête
est en laiton, il provient dudit kit, car je n'ai pas osé remplacer
celui de la Telecaster. Pour les distances des frettes et du chevalet, les mesures
ont été prises sur la Telecaster. Les cordes passent à
travers la caisse avant d'arriver au chevalet, il a fallu creuser 6 trous avec
une grande précision. Les
micros. Ils sont montés sur une petite plaque de bois taillée
dans une planchette fine, que je présente plus bas dans cette page. Comme
je voulais que ça ne me coûte rien, j'ai d'abord mis des micros de récupération.
J'en ai changé plusieurs fois, refaisant chaque fois la plaque de bois.
Plus récemment, je me suis décidé à booster ma guitare,
d'abord avec un Gibson et un Di Marzio achetés sur Internet. Début
2017, comme je me suis acheté chez Thomann une Vintage copie Les Paul,
j'ai mis sur celle-ci les micros Gibson dont je disposais, et les deux micros
Wilkinson de la Vintage sont passés sur ma guitare de bricoleur, plus
en medium un micro Stratocaster de 1969 récupéré autrefois.
A noter que le micro medium n'est pas prévu sur l'inverseur, je le branche
simplement en plus à l'aide d'un contacteur ; il est alors en mélange
avec un autre, mais quand je baisse le potentiomètre de volume des deux
autres, il fonctionne
seul (il a aussi son potard de volume à lui). Ce contacteur me permet aussi
l'opposition de phase. J'ai au total une dizaine de sons disponibles. La
finition. Après divers essais, j'ai fini par passer l'ensemble au brou de noix, et
verni, c'est la couleur du dos et des côtés. Sur le dessus, une peinture rouge foncé, et un vernis brillant. Sur la tête, j'ai dessiné mes
initiales et un motif
qui rappelle Gibson ou Marshall, ou le lys des Flandres ; avec un tube de... (je lis) Contour
couleurs vitrail Or (Gold), de Lefranc & Bourgeois. Pas facile de faire
quelque chose de propre avec ça, d'ailleurs, j'ai dû gratter et
poncer pour corriger et égaliser. J'ai repassé un vernis brillant
par dessus.
Pendant un
précédent remontage, au 22 avril 2012. Le micro blanc vient de ma Squier
Strat, au
milieu l'ancien micro grave de ma Telecaster ; et en aigu,
un micro issu... d'une basse bon marché.
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Tête
de la guitare (ça vaut ce que ça vaut, hein ?) Le
dessin est une sorte de fleur de Lys, ou plutôt
d'iris. En tout cas, ça essaie d'y ressembler.
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Etat
en 2021. Les deux micros principaux proviennent
de ma Vintage copie Les Paul, comme j'ai expliqué.
Le micro central vient de ma Squier Strat. J'avais
précédemment mis là un vrai
Fender, mais c'était du gâchis, car
il sert principalement en mélange avec les
autres, en donnant des sons un peu pincés
type Fender.
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Le patron en papier,
modèle pour fabriquer la plaque.
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La plaque qui tient
les micros, version 2013. Début 2017, j'ai retaillé
l'ouverture côté manche pour faire passer un micro
Wilkinson.
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Verso de la même
plaque. En cliquant, vous verrez la planchette avant découpe.
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Cliquez
sur les images ci-dessus pour les agrandir. Avant de refaire en
2013
la plaque qui tiendra les micros, je me suis fait un modèle
en papier, que les couturières appellent un patron.
J'ai pris des mesures aussi précises que possible. Puis j'ai
taillé dans une planchette de bois fin, après avoir
dessiné le plan dessus à l'aide du patron. Outils
de bricoleur : scie à métaux pour l'extérieur ; cutteur pour l'intérieur (attention
aux coups mal placés !), perceuse, petites limes. J'utilise
des outils à métaux pour leur finesse et leur précision. La planchette ?
Vous pouvez le constater sur le verso, où j'ai laissé
les inscriptions, c'était une planchette circulaire de pizza...
Du bois fin, lisse, clair, pas vilain esthétiquement, aspect
pin. Que j'ai travaillé à ma façon. Le sens
des fibres dans celui de la guitare. D'abord,
un nettoyage, y compris pour enlever les traces diverses. Un ponçage
au papier de verre fin pour avoir une surface impeccable. J'ai fait
alors toutes les découpes : le bois est tendre, et j'ai
travaillé au cutter, avec précaution, et petites limes
pour fignoler. J'ai arrondi les bords à la râpe, et
re-poncé. Mais ce bois (c'est quand même une sorte
de contreplaqué) n'est pas très costaud pour supporter
des micros. Je l'ai renforcé en passant une couche de colle
à bois des deux côtés ; deux fois, le temps
de laisser sécher. La colle imprégnant les pores du
bois, il en est devenu nettement plus rigide ; voilà une
de mes astuces de bricoleur. Ensuite, un vernis alkyde-uréthane incolore,
brillant et dur ; deux couches sur le dessus, une seule suffit
en-dessous. Le dessous sera couvert d'une feuille d'aluminium, mais
je vous ai laissé ici l'aspect originel.
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Le
résultat ? Il est certes original, mais satisfaisant, avec quelques
défauts. Rustique, dirai-je. De longues années
après, je suis encore épaté que mon manche soit bien dans
la ligne, et que rien ne soit faux, même si j'ai dû re-limer quelques
frettes. Un copain qui jouait sur Gibson m'a dit
qu'il aimait bien ce manche, proche du sien. Il est plus large que celui
d'une Fender, et se rapproche de celui d'une acoustique ou d'une Les Paul. Largeur
de ma barre de chêne, mais choix volontaire aussi pour que le manche sans
"truss rod" ne s'incurve pas trop sous la tension des cordes ;
de fait, il s'est légèrement incurvé, mais ça reste tout à fait
jouable. Le fait qu'il soit collé participe au sustain, c'est un fait
connu. Je trouve que le corps épais
en sapin donne une profondeur et un sustain corrects. Les micros
Wilkinson extraits de ma Vintage sont de bonne qualité. Avec le micro Gibson que
j'avais mis en position chevalet,
en distorsion, c'était l'enfer ! A présent, l'enfer est sur
ma Vintage, mais je n'en suis pas loin avec celle-ci. Les défauts :
mon vernis n'est pas parfait, car je l'ai mis au pinceau, et je n'ai d'ailleurs
pas une surface aussi lisse que si j'avais pu utiliser des machines de luthier.
J'ai dû limer pour corriger des problèmes sur les frettes au niveau de la 15ème case sur
certaines cordes. J'ai eu des problèmes avec des
soudures, il n'y a rien de facile, cent fois sur le métier remettez votre
ouvrage de bricoleur. Rien n'est nickel nulle part, mais mon ami Michel Waligora
l'a trouvée sympathique. J'ai même eu
l'occasion de montrer cette guitare au luthier Michel Scamps, qui s'est simplement
étonné de la couleur, mais ne m'a pas pourfendu d'un commentaire
assassin.
En
conclusion, je m'interroge sur les bois de lutherie. Les guitares électriques
se font généralement en bois dur, comme l'érable, le palissandre
et l'acajou, l'ébène pour la touche. Bois chers, de plus en plus
rares, dont l'exploitation contribue à la disparition des forêts
primaires. Le tilleul et certains arbres fruitiers, voire le buis dont on fait
des flûtes, sont bien moins chers et bien plus faciles à trouver,
pourquoi ne pas les utiliser ? Et pourquoi pas le sapin, du moment
qu'il est bien sec et sans noeuds ? Quant au chêne, je sais
qu'il peut se déformer et devenir cassant à la longue, mais ma
guitare a une bonne trentaine d'années en 2021, et je ne vois pas d'évolution
néfaste. Un bricoleur n'a pas à sa disposition des bois nobles
et ne saurait pas les travailler, alors il utilise des bois roturiers. Je suis
un roturier.
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