page précédente

L'ÉNONCIATION en LINGUISTIQUE

Indices grammaticaux de l'énonciation - Discours rapporté
La relation de l'énonciateur à l'énoncé 

Principes : si l'on prend un énoncé quelconque, une phrase extraite d'un dialogue, ou de n'importe quel texte, l'énonciation, c'est tout ce qui est en plus de l'énoncé, du message brut, tout ce qui en fait un acte de communication. Il y a le message d'une part, l'énoncé, et il y a d'autre part dans l'énoncé et en plus de lui la présence de celui qui envoie le message, l'énonciateur. On oppose (distingue) énonciation et énoncé comme on oppose fabrication à fabriqué : on étudie l'acte à travers son résultat.

Un énoncé quelconque comporte souvent des éléments qui renvoient aux circonstances de son énonciation, qui les reflètent, les réfléchissent : on parle alors de la réflexivité du langage.

Quand on étudie un énoncé quelconque, quels sont ces éléments qui sont en liaison avec la situation, et qui ne sont compréhensibles que par rapport à l'acte d'énonciation ?

DÉFINITIONS

Le Cid / Rodrigue / Victor Hugo fut inhumé au Panthéon en 1885. [noms propres / titres / dates]

Aucun problème de reconnaissance pour le personnage ou le titre dont je parle, quelle que soit la phrase où j'utilise ce nom ou cette expression ; pas plus que pour le Panthéon ou pour la date.

 

LES INDICES GRAMMATICAUX DE L'ÉNONCIATION

(Le syntagme nominal ou ses représentants)

Je désigne le locuteur, celui qui parle. C'est un pronom très particulier, car il se définit, il donne son identité par le seul fait qu'il est utilisé.

Tu désigne l'allocutaire, celui à qui parle le locuteur. On peut dire que le tu n'existe que grâce au je : il se définit par rapport à l'énonciateur, et par le fait même qu'il est utilisé par lui. Évidemment, cela vaut également pour le vous de politesse.

Nous désigne le locuteur + l'allocutaire ou les allocutaires, ou une ou plusieurs tierces personnes, ou tout cela ensemble (ex : je + tu + il / ils). Nous n'est pas un véritable pluriel de je : ce n'est pas une multiplication d'objets identiques, mais une jonction entre je et le non-je, comme dit Benveniste.

Vous désigne les allocutaires (véritable pluriel de tu), ou un ou plusieurs allocutaires + une ou plusieurs tierces personnes.

Regarde-le ! Comme il est susceptible ! (Pagnol)

Remets-le sur son étagère.

Adjectifs et pronoms possessifs renvoient également à une personne de conjugaison ; les possessifs de 1ère et 2ème personne ont donc également un aspect déictique :

Rends-moi mes billes, je te rendrai les tiennes !

Pour être précis, cet aspect déictique vient en second, car les pronoms trouvent d'abord leur référent de manière anaphorique, dans le début de la phrase.

Les possessifs de la 3ème personne peuvent, comme les pronoms personnels, renvoyer à une tierce personne présente dans la situation de discours, et donc posséder une valeur déictique :

Tiens, regarde un peu sa nouvelle robe ! (+ geste)

Les pronoms et adjectifs démonstratifs réfèrent souvent à un objet ou à une personne présent(e) dans la situation : Donne-moi cet outil. / Donne-moi ceci.

Dans cette utilisation, les démonstratifs sont appuyés par un indice non linguistique, comme un geste, une attitude, un regard ; en cela ils sont bien déictiques, mais ils se distinguent des embrayeurs au sens strict, comme je ou tu, qui s'identifie par eux-mêmes : je s'identifie par le seul fait que le locuteur prononce ce mot, et tu par le seul fait qu'on s'adresse à l'allocutaire.

=> Attention : les démonstratifs s'utilisent aussi souvent de manière non déictique, mais anaphorique.

=> L'article défini peut avoir un sens proche de celui de l'adjectif démonstratif, avec geste : Donne-moi le tournevis, là.

Certains termes établissent une relation avec le locuteur, dans une certaine utilisation :

Panisse est un ami (= un ami à moi) / un voisin.
Papa doit rentrer ce soir.

Notons que dans cette phrase, tout dépend de la personne qui parle : l'enfant lui-même, un autre enfant du même papa, ou la mère de l'enfant :

Je te dis que mon papa doit rentrer ce soir.
Je te dis que notre papa doit rentrer ce soir.
Je te dis que ton papa doit rentrer ce soir.

Autre catégorie d'embrayeurs, les indications de lieu et de temps qui ne se définissent que par la situation.

Le rapport de localisation (rapport au locuteur) s'exprime par des éléments qui sont, ou ne sont pas, compléments de lieu :

Attention, j'entends le Croquemitaine qui vient ! / ...Papa qui rentre / ...qui s'en va.

Les compléments de temps déictiques se repèrent par rapport au moment qui est celui de l'énonciation. On trouve de la même façon :

Notons comme précédemment le rôle important des prépositions, mais avec complément.

L'époque actuelle est fertile en découvertes scientifiques.
Nous avons déménagé l'année passée / l'année dernière.
Nous faisons construire l'année prochaine
.

Comme dit E. Benveniste, « le présent est proprement la source du temps ». Le présent étant le seul vécu véritable, c'est par rapport à lui que se définissent tous les autres temps, c'est-à-dire le passé et l'avenir. Le verbe joue donc un rôle fondamental ; mais il faut pourtant remarquer que le verbe n'est pas seul en cause : en fait, la notion de temps, exprimée dans le verbe, concerne la phrase entière, dont le verbe n'est que le pivot.

Il faut ici faire une distinction fondamentale, dont nous aurons besoin pour la suite de cette étude, et qui concerne tous les aspects de l'énonciation, et pas seulement le verbe :

Nous aurons d'ailleurs l'occasion d'envisager ce que devient le discours quand il se transforme en récit, dans le langage indirect par exemple. Et dans un texte, les différents niveaux se mélangent, à différents degrés.

Selon que l'on est dans le discours ou dans l'histoire, les temps des verbes s'organisent différemment :

Le temps de base, nous l'avons dit, c'est le présent, dans sa valeur originelle, qui est de dire ce qui se passe pendant qu'on le dit. Il peut avoir d'autres valeurs, qui étendent son champ d'action, en indiquant une répétition (présent d'habitude), ou une une généralité (présent de vérité générale) :

Tous les ans, il part en cure à Vichy.
Rien ne sert de courir, il faut partir à point.

Autour du présent, utilisé avec sa valeur de base, on trouve les temps qui expriment une antériorité ou une postériorité :

L'imparfait se réfère complètement au passé, sans liaison avec le présent :

Autrefois, je fumais ; maintenant, je bois.

L'imparfait ne fonctionne pas comme embrayeur, il ne peut être lié à la situation d'énonciation.

Au contraire, le passé composé continue d'exprimer une liaison avec le présent :

Autrefois, je fumais ; mais j'y ai renoncé.

J'ai renoncé dans le passé, mais ce renoncement se continue aujourd'hui. Le passé composé peut fonctionner comme embrayeur :

A vingt-cinq ans, il a déjà publié trois romans.

Je parle de quelqu'un de vivant, et du résultat présent d'actions passées qui sont pourtant accomplies, terminées (essayer de mettre n'importe quel autre temps passé).

Il assure qu'il terminera ce soir.

*Quand il aura terminé, il rentre chez lui.

Dans un énoncé au présent, le futur antérieur ne peut s'utiliser que par rapport au futur simple, pas par rapport au présent ; il exprime une antériorité par rapport au futur simple ; il ne prend donc pas ses repères par rapport au moment de l'énonciation :

Il affirme qu'il rentrera quand il aura fini.
Il affirme qu'il aura terminé avant 18 heures.

Dans ce dernier exemple, le futur antérieur se situe par rapport au futur (simple) 18 heures, qui n'est pas exprimé par un verbe.

Bien sûr, il existe des formes parallèles, des périphrases verbales que le français a développées pour exprimer le futur proche et le passé récent :

Il va rentrer. / Il vient de sortir.

L'histoire se coupe complètement des embrayeurs. Sur le plan des temps, ce type d'énoncé se construit autour du passé simple et de l'imparfait.

Quand il eut terminé, il rentra chez lui.
Quand il avait terminé, il rentrait chez lui.

Il nous affirma / affirmait qu'il terminerait vers 18 heures.
Il nous affirma / affirmait qu'il aurait terminé avant 18 heures.

A part dans ce sens particulier (voir plus haut), le conditionnel passé exprime une antériorité par rapport au conditionnel présent : Il disait qu'il rentrerait quand il aurait terminé.

Nous n'avons parlé ici que de l'indicatif, qui est si l'on veut le mode normal, premier, le niveau zéro du mode. A l'intérieur des autres modes, le système de temps est simplifié, mais suit globalement le système temps simple / temps composé (antériorité) ; la postériorité sera exprimée à l'aide du présent (il n'y a pas de futur du subjonctif !). Le conditionnel, lui, se comporte soit comme un temps, soit comme un mode.

Quant à l'impératif, c'est un mode qui est par principe un embrayeur, puisqu'il permet un acte de langage direct de l'énonciateur à une autre personne présente, un allocutaire. Il contient en lui-même, implicitement, le je et le tu (= je te dis que tu dois...). L'acte de langage, c'est le fait que le locuteur agit par la parole sur l'allocutaire. Au niveau des temps, il est exprimé dans le présent véritable, mais pour une réalisation dans un futur proche. Un seul mot donc, mais qui cumule tous les aspects.

A rapprocher des démonstratifs, les présentatifs voici et voilà font généralement référence à la situation, et s'accompagnent souvent d'un geste ; ils servent à introduire une phrase non verbale :

Chers amis, voici celui notre nouveau président...

Ces présentatifs ont aussi une valeur verbale qui est à rapprocher de ce que nous avons dit sur les temps des verbes : ils associent temps (présent) + lieu + moi + toi, vous. Ils cumulent donc aussi la présence du locuteur et des allocutaires, les aspects temporels, et un acte de parole, puisque le locuteur attire l'attention des allocutaires.

 

LE DISCOURS RAPPORTÉ

Il existe plusieurs moyens de rapporter la parole des autres dans un énoncé : c'est ce qu'on appelle en particulier le discours direct ou le discours indirect.

Ce qu'on appelle discours rapporté, c'est la superposition de deux énoncés (au moins) : l'énoncé d'un premier locuteur est rapporté par un second locuteur, et ce n'est pas forcément terminé ; en fin de compte, le dernier locuteur, c'est l'auteur. Bien sûr, si on superpose trop d'énoncés, le lecteur ne comprend plus rien (X raconte que Y a raconté que Z a raconté que...) !

Un personnage ou un auteur se fait le porte-parole d'un autre locuteur. Cela peut être très simple, sans fioritures, sans aucun élément d'interprétation :

Groucho Marx a dit : « Je ne voudrais pour rien au monde faire partie d'un club qui serait disposé à m'accepter comme membre. »

A priori, le locuteur-rapporteur ne modifie en rien la parole historique du premier locuteur.

Caractéristiques du discours direct

Dans le langage indirect, les propos d'un locuteur sont intégrés dans ceux d'un autre locuteur, une énonciation est intégrée dans une autre, avec une ligne de démarcation qui est celle de la subordination : la « traduction » des paroles se fait à l'aide de subordonnées, presque toujours. L'étude des différences avec le discours direct va donc nous indiquer ce que deviennent les embrayeurs du discours originel.

Caractéristiques du discours indirect

Cas particulier, que nous présentons rapidement ici, le discours indirect libre conserve la construction du discours direct, mais perd la ponctuation « externe » (pas la ponctuation énonciative), et transpose tous les embrayeurs, pronoms, adverbes, temps, comme dans le discours indirect. Il est d'une efficacité stylistique certaine, et les auteurs l'utilisent occasionnellement au moins depuis le XVIème siècle.