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LA RELATION DE L'ÉNONCIATEUR A L'ÉNONCÉ

La recherche des indices grammaticauxt répond en quelque sorte à la question : où est l'énonciateur dans l'énoncé ? Il s'agit d'un simple repérage, par les moyens grammaticaux, de la présence du locuteur et de celle de son ou ses interlocuteurs ou allocutaires.

Ici, nous allons rechercher quelle est la position de l'énonciateur, telle qu'elle peut s'exprimer dans l'énoncé, ou par rapport à son énoncé.

On peut par exemple délivrer un message parfaitement neutre, comme une description objective, scientifique ; il n'y a alors pratiquement pas de présence de l'énonciateur dans l'énoncé ; on ne trouvera d'ailleurs pas de termes indiquant une présence, comme un pronom de la 1ère personne.

On peut au contraire manifester une attitude, comme quand on donne un ordre ; ou bien un sentiment, une distance, une ironie, etc. ; il y a alors une très forte présence de l'énonciateur dans l'énoncé. On trouvera d'abord les embrayeurs étudiés dans le chapitre précédent, c'est une première étape. On trouvera aussi un certain contenu sémantique, qui s'exprimera par des termes appropriés ou des tournures particulières, et c'est ce que nous allons essayer de définir et de classer.

 I - LES ACTES DE LANGAGE : LES TYPES DE PHRASES

C'est ce qu'on appelle les modalités d'énonciation. Dans la communication, le locuteur peut s'adresser à quelqu'un de différentes manières, selon la façon dont il veut agir sur lui.

Le langage lui-même constitue un acte, où l'on peut distinguer les trois types de phrases fondamentaux : la simple déclaration, la question, et l'ordre ; l'exclamation est à étudier à part, car ce n'est pas un type comme les autres.

Il faudra par la suite envisager ce que deviennent ces types de phrases dans le discours rapporté, le discours indirect.

1) La phrase assertive, ou déclarative

C'est le type de phrase basique, qui consiste simplement à affirmer quelque chose.

L'intonation est théoriquement montante, puis descendante, ce qui correspond au point à l'écrit. On y trouve à la base la structure de la phrase canonique (syntagme nominal sujet + syntagme verbal, comprenant le verbe et les fonctions essentielles qui dépendent de lui).

La phrase assertive déborde pourtant souvent du cadre de la phrase canonique, quand des éléments facultatifs viennent s'ajouter, ou une tournure négative, passive, impersonnelle, etc.

2) La phrase interrogative

C'est bien un acte différent, que de poser une question à quelqu'un d'autre. Cela peut d'ailleurs être un acte contraignant, comme dans un interrogatoire policier ou judiciaire, ou un oral d'examen. Cela peut être aussi une simple recherche d'information. Parfois, le locuteur se prend simplement à témoin de ses propres réflexions.

L'intonation est théoriquement montante, et se traduit à l'écrit par le point d'interrogation.

Les tournures et les moyens morphologiques sont très divers, et nous n'allons pas ici en faire un exposé exhaustif : inversion du sujet, présence d'un mot interrogatif, qui peut être un pronom, un déterminant, un adverbe ; tournures renforcées...

Nous distinguerons l'interrogation totale et l'interrogation partielle :

3) La phrase injonctive, ou impérative

Donner un ordre est encore évidemment un acte différent, car on veut agir sur quelqu'un pour obtenir de lui un certain comportement. C'est en principe nettement plus contraignant encore que l'interrogation ; on peut pourtant nuancer : ordre strict, conseil, demande polie...

L'intonation est en principe nettement descendante. Elle est également forte.

Le mode impératif est le plus utilisé, mais il n'est pas le seul. On utilise aussi le subjonctif, et parfois d'autres tournures.

4) L'exclamation

La tradition grammaticale ajoute aux trois types de phrases précédents la phrase exclamative, comme s'opposant à la modalité simplement déclarative.

Ce n'est pas faux si l'on se réfère à la phrase assertive la plus simple, qui correspond à la phrase canonique : celle-ci est une phrase qui est le plus souvent à peu près neutre en ce qui concerne la position personnelle de l'énonciateur. Pourtant, ce n'est pas toujours le cas : une phrase très courte et canonique peut fort bien exprimer un sentiment fort :

Or, le rôle de la phrase exclamative est précisément d'exprimer un sentiment fort, un degré si élevé d'affectivité qu'il peut difficilement s'exprimer sur un plan lexical, simplement par l'utilisation de mots appropriés. Est-ce donc si différent ?

D'abord, on est bien dans la phrase : la tournure exclamative porte entièrement sur la phrase, non sur un mot (une phrase peut d'ailleurs comporter un seul mot). Ensuite, elle représente le modèle même de l'intervention de l'énonciateur, alors qu'une phrase assertive peut être neutre sur ce plan :

On est donc complètement dans l'énonciation, mais pas dans un type de phrase particulier. En effet, chacun des trois types de phrases précédents peut être ou n'être pas exclamatif, en plus :

Cela étant, une phrase exclamative se caractérise d'abord par son intonation, car on est le plus souvent dans le langage parlé : sa mélodie est très contrastée, montante ou descendante, avec souvent une note élevée au début et / ou à la fin, une intensité particulière sur le ou les termes sur lesquels on insiste. Le langage écrit, avec son point d'exclamation, est très pauvre pour transcrire cette intonation.

Par principe donc, elle exprime une affectivité forte : surprise, colère, peur, enthousiasme, adoration...

Syntaxiquement, c'est un domaine extrêmement varié, avec une quantité de tournures, qui méritent qu'on y consacre une leçon particulière :

On pourra constater, dans certaines tournures, une parenté avec les tournures interrogatives, qui utilisent l'inversion du sujet ou des mots semblables :

Nous verrons plus loin que le discours rapporté a beaucoup de mal à transcrire la variété considérable des tournures exclamatives, même s'il existe des subordonnées exclamatives en discours indirect.

II - L'ATTITUDE DE L'ÉNONCIATEUR VIS-À-VIS DE SON ÉNONCÉ

Les trois (véritables) types de phrases que nous venons de définir indiquaient l'attitude de l'énonciateur envers son interlocuteur, ou la personne à qui s'adresse le message, et qui peut être simplement le lecteur. L'énonciation constituait donc un acte.

A présent, nous allons voir comment se manifeste l'attitude de l'énonciateur par rapport à son propre énoncé. C'est ce qu'on appelle les modalités d'énoncé. Rappel : on se demandera, en analysant une phrase, quelles sont les différences par rapport à ce que serait un message complètement neutre. A partir de ce message brut, il y a une modalisation de la part de l'énonciateur.

Nous pourrions constater, en réfléchissant sur certains exemples, que la phrase exclamative peut constituer un acte envers un interlocuteur (une insulte, par exemple), ou bien simplement exprimer un sentiment fort du locuteur, sans dialogue. Elle a donc un statut ambigu (modalités d'énonciation, ou d'énoncé).

L'appréciation de l'énonciateur par rapport à son énoncé peut se situer sur différents plans, les principaux étant l'expression d'une affectivité, ou une appréciation (évaluation) sur la vérité, la qualité, etc. (donc, sentiment ou jugement). Les moyens utilisés sont fort nombreux, et il est difficile de les recenser tous, et d'en faire un classement :

1) Le syntagme nominal

Dans le lexique, on trouve d'abord des mots qui suffisent par eux-mêmes, parce qu'ils sont marqués sémantiquement :

Comparer : Pierre est ingénieur / Paul est un imbécile
Le 1er nom est objectif, le 2ème est subjectif.

Il n'est pas toujours facile de savoir s'il s'agit de dérivés, sauf quand le suffixe est bien reconnaissable. L'important, c'est de reconnaître que le mot par lui-même exprime une affectivité ou une appréciation.

Dans le syntagme nominal, on trouve ensuite des adjectifs qui, rajoutés au nom, lui confèrent une valeur sémantique particulière :

Même dans un texte écrit, en dehors du dialogue, on sent bien que tous ces mots permettent une participation personnelle de l'énonciateur dans son énoncé.

2) Autres éléments lexicaux

Les verbes ou les locutions verbales qui expriment un sentiment ou un jugement participent à la modalisation ; il y en a une quantité :

Le verbe aimer fait partie du message, mais il est aussitôt corrigé, remplacé par un autre plus fort qui constitue une distance prise par le locuteur par rapport à son énoncé de base ("J'aime Junie"). Cela constitue une sorte de commentaire sur l'insuffisance du mot utilisé.

Le message est : "Je suis en solitude, je suis dans la solitude". Le commentaire est Je prétends, "je le veux, je le dis, je m'y efforce, ce n'est peut-être pas tout à fait exact".

C'est l'auteur qui rajoute comme commentaire "évidemment", ce qui entraîne une sorte de complicité entre lui et son lecteur ; ou bien, si c'est dans la bouche d'un personnage, cela établit une complicité entre celui-ci et ses auditeurs.

3) Les temps des verbes

Certains temps peuvent exprimer l'attitude du locuteur par rapport au contenu de l'énoncé :

4) Des tournures

5) La ponctuation, l'intonation

Dans un texte écrit, on peut faire des remarques entre parenthèses, ou entre tirets (la rôle n'est pas tout à fait le même). On peut aussi utiliser des guillemets pour encadrer un mot, ce qui veut dire qu'on ne le prend pas à charge. A l'écrit, cela correspond à un léger arrêt, et une intonation particulière :

Je ne reprend pas à mon compte le néologisme foultitude, mot-valise formé sur foule et multitude. C'est une citation de l'ami qui m'a rapporté la scène. Je trouve que cet ami est un peu pédant, ou qu'il utilise sans réflexion des mots qui sont à la mode, et moi je suis puriste.

A l'écrit, on pourrait encore compléter les signes typographiques par les caractères gras, les italiques, etc.

Cette liste n'est pas close. Si l'on veut par exemple chercher l'ironie dans un texte de Voltaire, il faut rechercher une quantité de procédés si variés qu'on a bien du mal à définir le style de Voltaire. Par exemple, les horreurs de la guerre sont rapportées dans un style aussi neutre, aussi descriptif que possible, comme avec la naïveté de Candide.

On le voit, la notion de modalité rassemble un grand nombre de faits linguistiques assez hétérogènes.