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FORMATION DE LA LANGUE FRANÇAISE

I - LES ORIGINES

1) Les origines anciennes

Après le néolithique, 3 peuples occupent notre territoire : les ligures (Provence, côte méditerranéenne, Nord-Ouest de l'Italie), les Ibères (Languedoc), les Aquitains (Sud-Ouest).

Ils ont laissé fort peu de traces dans la langue:

2) Les Gaulois

Rappel : les Celtes, malgré ce qu'en dit César, étaient des civilisés, bien que politiquement ils n'aient jamais réussi à s'unir pour former une nation.

"La" langue des gaulois est constituée de dialectes celtiques. Nous avons peu de traces écrites, car la langue écrite était réservée aux druides, qui écrivaient sur des supports fragiles, comme des écorces d'arbres. Les Gaulois possédaient une littérature orale, transmise par les druides ou les bardes. On possède quelques éléments relatifs aux noms propres (dits onomastiques) dans des inscriptions latines ou grecques ; les inscriptions celtes utilisaient un alphabet d'emprunt (latin, grec, + ibère, étrusque, ailleurs qu'en Gaule). On possède aussi un calendrier (situé à Coligny, dans l'Ain), une tablette à Chamalières, une autre dans le Larzac [il est difficile d'interpréter ces documents longs, vu les limites de nos connaissances, et cela se fait par comparaison avec les langues celtiques connues].

La langue des Gaulois était sans doute proche du Breton actuel, qui est un mélange de 2 dialectes celtes. Le Gaulois, qui est le celtique continental, présentait des affinités avec les langues italiques comme le latin : génitif en -i, futur en -bo, etc.

Il en reste dans notre langue environ 70 noms communs :

substrat : langue parlée de base.

superstrat : langue qui s'introduit sur l'aire d'une autre sans s'y substituer, en principe (elle laisse des traces). A la longue, le superstrat peut remplacer, et devenir le nouveau substrat, c'est le cas du latin.

3) La conquête romaine

Elle commence dès le 1er siècle avant JC, et est achevée vers - 50 (av. JC : Jules César).

Les causes du succès du latin :

Le latin a touché surtout les nobles, les marchands, les habitants des villes ; au IVème siècle, on parlait encore " gaulois " à la campagne ; aux Vème, VIème siècle, on parlait latin partout.

Il faut rappeler qu'il y a 2 variantes du latin :

le latin écrit, celui des administrations, des écoles, des écrivains (Cicéron) ;

le latin oral, celui des soldats, des marchands entre autres ; le français vient du latin oral.

Exemples de différences :

II - Le rôle des invasions

Dès le IIIème siècle, les invasions se multiplient, surtout au Vème, ce qui entraîne la chute de l'Empire Romain ; régions perdues : celles qui correspondent à la Grande Bretagne, à la Yougoslavie, à l'Afrique du Nord. Les conséquences sont importantes sur toute la Romania.

[Les points d'histoire sont détaillés à la page Plans et cartes / Les grandes invasions. En résumé : hiver 406 : les tribus germaniques passent le Rhin gelé ; 410, 455, 473 : 3 pillages de Rome ; 476 : le dernier empereur, Romulus Augustule, est déposé après moins d'un an de règne factice, car c'était une marionnette aux mains des chefs germains ; l'Empire est divisé en royaumes barbares ; restera l'empire d'Orient, Byzantin, à Constantinople, d'influence grecque, qui tiendra encore 1000 ans]

1) Fermeture des écoles romaines

Il n'y aura plus de modèle latin ; la langue va donc évoluer en s'éloignant du latin : la syntaxe se simplifie, la prononciation change.

2) Autour de la Gaule :

Certaines régions se détachent entièrement du latin :

soit parce que les parlers antérieurs resurgissent dans les régions mal romanisées : retour du Basque (langue pré-indo-européenne), des parlers celtiques en Armorique (résistance au latin, et arrivée de celtes de Britannia, chassés par des envahisseurs germaniques, les saxons) ;

soit parce que les envahisseurs germaniques dominent entièrement certaines régions :

3) Au coeur de la Gaule, les 1ères fragmentations dialectales

Dès le IIIème siècle, c'est l'arrivée des Francs, venus de régions allant du Rhin à la Mer du Nord (ils sont peut-être originaires des pays de la Baltique). Après 2 expéditions dévastatrices en Gaule, ils reconnaissent la suzeraineté romaine (après une campagne de l'empereur Maximien), et fournissent aux romains des soldats (mercenaires) et des colons. Ils prennent de plus en plus d'importance à mesure que l'Empire Romain s'affaiblit, à la fois sur le plan militaire et dans l'occupation des terres. Ils s'installent et s'assimilent, par des mariages, par la sédentarisation terrienne, par l'adoption de la religion chrétienne (en 496, baptême de Clovis) ; ils constituent 20% de la population, et dominent la moitié Nord du pays, au Nord de la Loire. Ils se fondront dans la population gallo-romaine, beaucoup plus nombreuse, qui adoptera leur nom.

Au Sud de la Loire, c'est une région romaine depuis longtemps : la Narbonnaise est une province romaine dès 120 avant JC. Cette région est occupée peu de temps par les Wisigoths et les Burgondes, ce qui a peu d'influence sur la langue.

=> On aboutit ainsi à une évolution divergente entre le Nord et le Sud ; au VIIIème siècle, on obtient :

Au Nord de la Loire, un mélange du " latin " (ou plutôt roman) et du francique, ce qui donne la langue d'Oïl (oil = oui).

Au Sud de la Loire, c'est la langue d'Oc, proche du latin (Bourgogne, Savoie, Dauphiné).

Au milieu, une zone intermédiaire, où les deux se mélangent, ce qui donne le Franco-Provençal.

Nous reviendrons sur les différences entre langues d'Oïl et d'Oc.

Dernière invasion : aux IXème / XIème siècles, les Vikings, ou Normands (= hommes du Nord : ils viennent de Scandinavie). Ils pillent et détruisent beaucoup [ils ont des techniques supérieures : le drakkar, voilier rapide à faible tirant d'eau ; l'étrier pour la cavalerie ; les princes en place résistent peu et payent beaucoup] ; les germains, eux, avaient pour but de profiter de l'Empire romain plutôt que de le détruire. Les Normands enfin s'installent dans ce qui deviendra le duché de Normandie, et s'assimilent par leurs mariages et leurs descendances, mais en formant une aristocratie turbulente. [à noter qu'aux alentours de l'an 1000, le viking Erik le Rouge aborde au Groenland, donc découvre l'Amérique...]

III - La naissance du français

Dès le IXème siècle apparaît une langue commune, nécessaire aux échanges. Ce sera le dialecte de l'Ile de France, le Francien. On en a une indication dans les Serments de Strasbourg, en 842.

Il y a différentes causes à cet état de fait :

Paris est un lieu de rencontre pour les voyageurs, grâce aux voies d'eau. Pour se comprendre, chacun utilise les formes communes des différents dialectes, alors que dans les zones rurales, on utilise ces dialectes différents, qui marquent quand même une certaine unification au niveau des régions (relations sociales, commerciales et religieuses).

En 987, Hugues Capet est élu roi de France (partie Nord, centrée sur l'Ile de France). C'est le premier roi qui n'ait plus su parler le germanique.

En 1281, une ordonnance royale permet le développement de bureaux d'écriture juridique et laïque, dont le personnel est en relation avec la cour et avec les bureaux parisiens, et est amené à éliminer les traits dialectaux des écrits. Fin XIIIème, début XIVème, le français se développe de plus en plus (par rapport au latin) dans tous les actes juridiques, comme les plaidoiries ou les jugements. A cette époque, le français de Paris est incontestablement diffusé dans l'ensemble des provinces. Le français de Paris, c'est-à-dire celui de la cour et des parlements (au XVIIème, on considérera que c'est le seul bon).

On notera qu'au XIVème siècle débute la guerre de Cent ans (1346, Crécy), entre deux rois de langue française, pour la conquête du Royaume de France. En Angleterre, le français recule, on commence à l'apprendre comme une langue étrangère. Avec Jeanne d'Arc (. 1431), la guerre prend un caractère national, et les destinées des deux pays se séparent définitivement, le règne du français se termine en Angleterre.

En résumé : le " bon français " actuel provient :

Donc, seul un petit groupe de gens a élaboré ce qui est devenu le français moderne.

IV - La diffusion du français

1) Chez les savants

Le latin était la langue des clercs (des savants, des lettrés), une langue à la fois écrite et orale. La Sorbonne, fondée en 1252, était le centre du Quartier Latin. Elle sera concurrencée à partir de 1530 par le Collège de France, créé par François Ier, où quelques précurseurs enseigneront en français.

Le latin était la langue de la communauté universitaire internationale ; il possédait des règles précises, contrairement au français qui n'en possédait guère avant le XVIème siècle. Par exemple, Descartes, au XVIIème, écrivait en latin, à l'exception du Discours de la Méthode.

Des éléments qui ont contribué à une baisse de l'utilisation du latin chez les savants :

L'évolution a été différente selon les domaines : la Littérature est en français dès le XIIème siècle, l'Histoire dès le XIIIème, les Sciences à partir du XVIème, et jusqu'à la fin du XVIIIème, où la production scientifique est alors uniquement en français.

L'enseignement a été très longtemps fait en latin, et de nombreux grands écrivains français n'ont appris que le latin. Montaigne, par exemple, a appris le français à l'âge de 6 ans. La progression du français a été lente : au XVIIIème siècle, chez les Jésuites, tout le monde parlait latin, y compris les cuisiniers, qui utilisaient... le latin de cuisine ! Cette progression s'est accélérée au XVIIème, époque à laquelle on a commencé à enseigner l'orthographe (rôle de l'Académie Française, rédaction de grands dictionnaires et d'ouvrages de grammaire...). La progression du français dans l'enseignement est forte surtout au XIXème siècle. La dernière thèse en latin date de 1905 (l'enseignement universitaire se faisait en latin encore au XIXème siècle ; les exercices latins de versification, dissertations et thèses ont été supprimés entre 1880 et 1905).

NB :

2) Dans le peuple

Au XVIème siècle, la paysannerie a encore comme langue maternelle le patois de sa région. Le développement du français vient d'une évolution à la fois spontanée et politique. Voici les principales étapes :

Sous l'Ancien Régime :

Sous l'Ancien Régime, il n'y a pas de politique systématique de francisation, on admet l'utilisation par un individu par exemple d'un dialecte dans sa vie personnelle, et du français dans sa vie professionnelle, une sorte de bilinguisme avec une forme de hiérarchie, ce qu'on appelle une diglossie.

A partir de la Révolution, on assiste à une politique d'éradication des dialectes et des langues régionales (une trentaine).

Le sentiment national fait prendre conscience que la France, réunie pour la première fois en une patrie unique, doit avoir une langue unique. La Révolution a besoin d'une meilleure diffusion des lois et des idées. Une politique de la langue est élaborée par Talleyrand et l'abbé Grégoire. Ce dernier estime, en 1790, que sur 28 millions de français, 3 millions parlent un français pur ; 6 millions le comprennent sans le parler, 6 millions l'ignorent totalement. Un certain nombre de mesures, ou de tentatives de mesures, seront prises, concernant l'enseignement, le culte, etc. Toutes ne sont pas couronnées de succès, mais elles ne seront jamais oubliées.

C'est avec Jules Ferry que l'on assiste en 1882 à la première mise en place d'un vaste programme d'enseignement : obligation scolaire, interdiction de l'emploi des langues régionales à l'école. Le français est désormais enseigné dans tous les villages de France.

Par la suite, en peu de temps, à la fin du XIXème et au XXème, l'extension et l'unification du français se font pour les raisons suivantes :

Aujourd'hui, les parlers régionaux, qui ont connu un grand déclin, suscitent un intérêt scientifique ; on les étudie, on les enseigne, y compris à l'Université. Les régions ont aussi tendance à rechercher leur identité par le patois ou le dialecte, qui n'est plus aussi dévalorisé qu'il l'a été.

Dans la langue actuelle, on peut noter une tendance à la simplification : affaiblissement du passé simple ou du subjonctif imparfait, réservés à la langue (bien) écrite ; dont ou lequel remplacés par que ; extension de tournures pseudo-interrogatives (qu'est-ce que / la question de qu'est-ce que..., de comment faut-il..., de quand est-ce que...), ainsi que d'autres incorrections à la mode dans les médias (voir les pages Langue Française) ; simplification phonétique aussi, avec disparition du [a] (â) des différences é / è, un / in, etc. Le rôle des parlers régionaux est plus ou moins occupé aujourd'hui par le langage dit des banlieues, ou des jeunes, qui est très évolutif et très sujet aux modes.