Principales différences entre langues d'Oïl et d 'Oc |
I - Différences phonétiques
1) Phonèmes introduits
le h : en latin, il avait existé dans la prononciation,
mais n'était plus prononcé en latin populaire. Dans les mots d'origine
latine et commençant par cette lettre, on effectue la liaison ou l'élision (de l'article) : des hommes (homo), l'haleine
(halare = souffler)... Il s'agit d'une lettre rajoutée
artificiellement dans l'orthographe par souci étymologique, dans la période
du moyen français, mais ne correspondant pas à un phonème.
homo > un homme, l'homme, des hommes
halare
(= souffler) > l'haleine
horror > l'horreur
hospes
> un hôte / l'hôtel, l'hôpital
Dans la moitié Nord, le phonème h dit improprement « aspiré » (mais en réalité expiré) est introduit par les Francs à partir du Vème siècle, c'est celui qu'on trouve dans l'allemand hund, l'anglais hair, etc. Dans les mots d'origine germanique, on constate en français actuel l'absence de liaison ou d'élision :
hareng, haricot, haine, hardi, hameau, hangar (= hameau + enclos), hublot, huche, hotte, housse...
Nous conservons quelques traces du phonème h
« aspiré », dans une hache, un hachoir,
il est hâlé, des haillons...
le [w] latin était une semi-consonne que l'on écrivait
avec la voyelle graphique u ; cette semi-consonne est définie
comme une spirante (fricative) bilabio-vélaire sonore, dont on dit qu'elle
est homorgane de la voyelle [u] ("ou"), c'est-à-dire qu'elles
ont un même point d'articulation, tout en différant par d'autres
traits. Les deux phonèmes ont la même formule articulatoire, mais
dans la semi-consonne, les muscles articulateurs ont pris le dessus. Cette semi-consonne
évolue au cours des deux premiers siècles, pour devenir au début
du IIème siècle la spirante labio-dentale sonore [v]. Rappelons
qu'il s'agit ici uniquement de l'oral, et que la lettre v ne sera inventée
que bien plus tard, au XVIème siècle, et mettra encore 200 ans
à s'imposer. Exemples de mots d'origine latine :
uolare > voler
uox > voix
uentus
> vent
uendere > vendre
La même semi-consonne, mais cette fois-ci d'origine
germanique, est réintroduite, dès le IIème siècle,
mais surtout à partir du Vème dans la moitié Nord ; c'est ce
phonème qu'on entend dans wallon, mot d'origine germanique
désignant en latin médiéval les romains ou les peuples
romanisés ; ou dans une wassingue, terme du Nord récent
( mot flamand d'origine germanique,
1908, à comparer avec l'allemand waschen et l'anglais to wash).
Le
[w] d'origine germanique évoluera différemment dans les langues
voisines :
2) Les consonnes intervocaliques
Dans toutes les situations, les consonnes latines sourdes intervocaliques (placées entre deux voyelles) sont influencées par leur environnement : la voyelle est une vibration libre des cordes vocales, et la consonne sourde demande une non-vibration des cordes vocales, placée entre deux périodes de vibration. Ceci nécessite donc un effort, et selon l'expression de François De la Chaussée, « une précision neuro-musculaire importante pour déclencher, bloquer et redéclencher ces vibrations en un temps très court ». Ce n'est possible que dans une langue à l'articulation tendue comme le latin classique. Mais en période de relâchement articulatoire, cet effort ne s'accomplit pas bien, et les cordes vocales continuent de vibrer : les consonnes sourdes intervocaliques sont ainsi sonorisées :
p >
b
k > g
t > d
s > z, etc.
La sonorisation est un affaiblissement articulatoire. Ce phénomène se manifeste dans toute la Romania occidentale vers la fin de l'époque impériale. Mais l'évolution sera différente au nord en langue d'Oïl et au sud en langue d'Oc ; au sud, l'évolution s'arrête là, alors qu'elle continue au nord sous l'influence de la prononciation germanique, avec des résultats différents selon les situations :
3) L'influence de l'accent d'intensité
Pour les voyelles accentuées, on peut observer, au Nord, l'influence de l'accent d'intensité germanique, celui que l'on retrouve aujourd'hui en allemand. L'accent, en latin, était mélodique, ce n'est pas un type d'accent que l'on peut qualifier de destructeur. Par contre, l'accent d'intensité d'influence germanique a pour effet de renforcer la syllabe accentuée et de la faire évoluer, ainsi que d'écraser les syllabes faibles autour de lui :
Les syllabes finales ne sont jamais accentuées, et elles
portent les désinences. Au nord, elles s'affaiblissent, et finissent
par tomber, ce qui entraînera la chute de la déclinaison. Ainsi,
le -um final latin, déjà prononcé -u en latin populaire,
s'ouvre légèrement, en -o ; il en reste là au sud
(on le retrouve en provençal), mais finit par disparaître au nord, où
le cas régime singulier en ancien français se caractérise
par l'absence de désinence. Le a final, plus résistant, s'affaiblit
en e sourd.
Les
syllabes qui précèdent ou suivent la syllabe accentuée
(prétoniques internes / post-toniques) sont écrasées ;
au nord, les mots perdent des syllabes, ils raccourcissent. On peut remarquer
à l'inverse que dans la Provence actuelle, au lieu d'avaler des syllabes
comme cela se fait dans la moitié nord, on les prononce toutes, et l'on
va jusqu'à rajouter des voyelles intermédiaires "e"
pour faciliter l'articulation de consonnes consécutives (imaginer l'expression
vingt cinq kilos prononcée par un parisien et par un marseillais).
Les voyelles accentuées (toniques) libres vont diphtonguer
au nord, mais pas au sud :
a > "é" : pratu(m) > pré
(Oïl) ou prat (Oc)
e > "oi" : tres > trois (Oïl)
ou tres (Oc)
o > "eu" : flore(m) > fleur (Oïl,
après diphtongaison)
ou flour (Oc, après fermeture) / amor > amour (forme
Provençal entrée en français, sans quoi on
déclarerait en France son "ameur"...)
II - Différences morphologiques
En langue d'Oc, pour les noms et les adjectifs, comme les terminaisons -a et -o subsistent, la chute de la déclinaison est nettement plus tardive, mais le rôle de la déclinaison est en perte de vitesse partout.
En ce qui concerne le verbe, les conjugaisons restent au sud plus proches du latin, avec des désinences différentes à chaque personne ; la langue d'Oc n'utilise donc pas de pronoms sujets, alors que la langue d'Oïl va en avoir besoin.
III - Différences syntaxiques
L'ordre des mots est différent ; en francique, l'adjectif est antéposé au nom, ce que l'on retrouve en anglais, et dans des tournures du Nord et de la Belgique. Ainsi :
en anglais : my new hat
en picard :
min neu capiau
dans les toponymes, comme les noms de villes
: Neuville (Villeneuve au Sud), Achicourt,
Francheville (Villefranche au Sud), Rougemont
(Montrouge), Vauclair (Clairvaux)...
Dans la phrase, l'inversion du sujet quand la phrase commence par un complément semble être une tournure d'origine germanique, d'influence francique.
IV - Différences lexicales :
On trouve beaucoup moins de mots germaniques au Sud, ce qui est logique, les invasions ayant été limitées dans le temps. Les mots d'origine germanique finiront par entrer dans le vocabulaire national, comme le vocabulaire des couleurs [ex : blond], de la guerre, des animaux...
Au nord, il y aura "confrontation" entre des mots germaniques et des mots latins de même sens, ce que l'on appelle des parasynonymes : honte / vergogne, héberger / loger...
On aboutit ainsi non pas à 2 dialectes,
mais à deux langues.
La langue d'Oïl évolue plus vite, et s'éloigne des autres
langues romanes. A l'époque carolingienne, les oppositions sont acquises.
La langue d'Oc est alors très proche du catalan, ou de l'italien. Par
rapport à la langue d'Oïl, il y a bien différence de langue,
et non de dialecte. Dans les oeuvres, il n'y a pas de mélanges, alors
qu'on trouve des mélanges entre les dialectes d'Oïl.
Rappel : une langue est plus large qu'un dialecte, un dialecte plus large qu'un patois.
Dans chaque région, on arrive aussi à de nouvelles fragmentations. Dans la langue d'Oïl, on distingue le Picard, le Normand, et le Francien (Ile de France, le dialecte qui dominera pour des raisons géographico-politiques) :
Picard :
Normand :
Francien :
Aux XVIème, XVIIème siècles, ces fragmentations aboutiront aux différents patois.