LE STAGE A CARCASSONNE EN AOUT 1972
Bernard
se laissa aisément convaincre, et tous deux s'inscrivirent au
nouveau stage géré par Steve Waring dans l'ombre de la citadelle.
Steve
s'occupait du folk à sa manière (vous connaissez les talking
blues ?), le folk traditionnel était présent avec un groupe de
bretons bretonnisants, un atelier d'expression corporelle apportait
du divertissement et de la pagaille, et... et... voici, mes amis,
qu'entrent en piste les musiciens d'un groupe fabuleux à qui nous
devons tout ou presque : les NATIONAL PIGS !
Vous
ne connaissez pas ? Vous avez tort. Ils avaient été Bluegrass
Flingou 37 1/2, ils deviendront Bluegrass Long distance,
Bluegrass Connection, puis Connection tout court. Ah !
Là, ça vous dit quelque chose, hein ! La voix chaude, les
éclats de rire et la guitare efficace d'Eric Kristy, le banjo de
Jean-Marie Redon, le dobro de Gilbert Caranhac, la mandoline de Mike
Larie, la contrebasse du discret Hervé de Sainte Foy. La totale, on
vous dit ! Le groupe anime les concerts, les musiciens dirigent
des ateliers (sauf Mike et Hervé, invités). Bien entendu,
Jean-Jacques est l'élève de Jean-Marie Redon, et Bernard celui
d'Eric Kristy. L'un se perfectionne en banjo bluegrass, l'autre
découvre les secrets du flat picking, le jeu du médiator en guitare
bluegrass. François Robert n'est pas encore présent pour le dobro,
mais Gilbert Caranhac enseigne son savoir-faire à un certain Denis
Blanchard, qui deviendra lui-même un maître de l'instrument.
A
noter que « National Pigs » est un jeu de mots, en
référence aux « picks » (onglets) de la marque
américaine National. L'époque n'était pas encore au « balance
ton pig », et le cochon est une gentille bête, intelligente et
subtile, on ne le dira jamais assez.
De gauche à droite : Mick
Larie |
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Bluegrass Flingou 37 1/2 avec Claude Lefebvre, Redon, Larie, tous des p'tits jeunots qui aiment bien faire le pitre |
Entre folkeux et bluegrasseux, une gentille guéguerre régnait : « le folk, c'est facile », versus « le bluegrass, c'est pas de la musique ». Nos compères retirèrent pourtant des enseignements et du répertoire des deux côtés, ce qui fonda les doubles bases de leur style pour les années à venir.
Dans la foulée, il faut faire état d'une polémique malheureuse, qui est résumée dans une phrase de la revue L'Escargot Folk de décembre 1974 : « Il est assez attristant d'entendre dans les milieux folks (et malheureusement cela arrive souvent) : Oui, le bluegrass, c'est chouette, dommage que ce soit une musique de fascistes ». Bien sûr, comme nous expliquait Eric Kristy, on trouve des bases traditionnalistes dans le bluegrass, du type « Home sweet home ». Mais on y trouve aussi des musiciens engagés comme Bob Dylan ou Joan Baez, et nombre de figures célèbres aux USA, qui prenaient à l'époque position contre la guerre au Vietnam, contre le nucléaire, contre l'apartheid, etc. Quant aux musiciens français, folkeux ou bluegrasseux, ce sont tout simplement les mêmes, la même mouvance, généralement du côté écolo. Quand on est soi-même démocrate, voire libertaire, entendre dire qu'on joue de la musique de fachos, ça fait mal aux tripes. Voici, pour ceux que ça intéresse, un article de Christian Poitevin (revue du FBMA) qui met bien les choses au point.
Revenons
à nos moutons. Des
bretons, mais aussi des lyonnais dans ce stage, comme Denis
Blanchard. On échange, on observe, on admire les instruments. La
Martin D 18 d'Eric Kristy ou le Gibson RB 250 de Jean-Marie
Redon, mais aussi des Yamaha FG 300 de certains stagiaires, qui
sonnent diablement bien (les guitares, pas les stagiaires).
Eric Kristy |
Jean-Marie Redon |
Dans la foulée du stage, tous se retrouveront à Bobino pour assister au spectacle de Steve et Connection, où Steve fera se démener les 2000 spectateurs sur Jean Petit il danse, vous imaginez le tableau. A Lens, des décisions sont prises. Le programme des musiciens évolue d'un côté vers le bluegrass, de l'autre vers le folk traditionnel. Pour l'instant, c'est Jean-Jacques qui tient l'instrument soliste, Bernard accompagne et se perfectionne progressivement en flat picking. Tous deux chantent, plutôt Bernard en 1ère voix.
Les
deux musiciens proposent au Foyer Albert Camus de Lens de créer un
club folk. Le directeur de l'époque, dirigeant ouvert et dynamique,
accepte volontiers et leur ouvre une salle le samedi après-midi.
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Le Foyer Albert Camus changera de nom des années plus tard : le sigle FAC laisse faussement entendre un lien avec l'Université, ce qui n'est certes pas déshonorant ; surtout, le terme Foyer incite des mal-comprenants à solliciter un hébergement, ce qui n'est pas l'objectif d'un établissement culturel. Il deviendra le Centre d'Activités Culturelles Albert Camus, soit le CACAC, je ne sais si vous préférez. Remarquez, on aurait pu choisir Maison d'Activités Culturelles..., cela aurait abouti au sigle MACAC, c'eût peut-être été pire. Quoique...
Revenons à nos moutons. Un club folk est un lieu de rencontres pour des personnes intéressées par le même style de musique.
Et devinez quoi ? Les deux premiers membres du club furent François Robert et Jean-Michel Gach, futurs musiciens du groupe. Le premier, étudiant en Histoire ; le second, étudiant en Animation. Vint aussi un certain Michel Waligora, infirmier et guitariste de son état, qui n'avait pas grand chose à apprendre de nos animateurs. Michel joue de la guitare depuis 1964, il a appris seul en regardant les autres, il s'y connaît en picking, qui sera toujours son style principal. Il joue aussi du blues, avec ou sans bottleneck, et pratique l'harmonica. Autre spécialité, c'est un roi de la déconne, mais il ne le manifeste pas encore sur scène à l'époque.
Les dés en étaient jetés. Alea jacta erat.
Pour découvrir le démarrage de La Grande Folque, tournez vite la page en cliquant sur la guitare :
Photos :
https://www.discogs.com/The-Bluegrass-Connection-Bluegrass-Francais/release/2992070
https://www.discogs.com/artist/1104328-Eric-Kristy
http://dune2.unblog.fr/2008/12/15/jean-marie-redon/