- On ne fait plus de mots
avec four- / for- [latin foris, modifié
par un élément germanique => dehors, exclusion, éloignement]
: fourvoyer, forclore (exclure, priver du bénéfice
d'un droit), forban (for + bannir).
Pas davantage avec tré- [< trans] : trébucher
(buc = tronc du corps), les tréfonds.
- idem : mé-, mal-
(mau-) ne sont en principe plus productifs : médire,
mécontent, maudire, malhonnête... On dira sans
méchanceté, sans intelligence, et non malméchant,
malintelligent. Pourtant, une mode des euphémismes
a remplacé sourd par malentendant ; on a
aussi malvoyant, non-voyant (les mots
paraissent moins durs quand on nie leur contraire !).
- pour- [latin pro]
n'est pas complètement mort, mais il est peu vivant (pourchasser,
poursuivre, pourfendre, pourvoir...)
- D'autres tout à fait
vivants, voire très productifs : in-, dé-, re- / ré-,
pré- ; et des préfixes d'origine savante, qui
remplacent des préfixes populaires : trans-, anti-,
hyper-, néo-,...
- Ceux que nous venons de
voir sont populaires. Remarquons par exemple la
multiplicité des formes qui viennent de cum : coaccusé,
contenir, comprendre, commémorer... Les préfixes
populaires subissent des altérations ; idem : inlassable,
impossible, illégal, irrésistible ; subdiviser,
succéder, suggérer ; pourmener > promener,
pourtrait > portrait ; entrerompre > interrompre ;
reclamer > réclamer ; couvoiter (cupiditare)
> convoiter...
- Les préfixes savants
sont pris au latin ou au grec [vocabulaire technique ou
scientifique surtout + extensions] :
- latin : anté-,
bi- (bipède), circum-, inter-, extra-,
infra-, ultra-, post-, pro-, rétro-, semi-, super-,
trans-, uni- (unijambiste)...
- grec : anti-,
auto-, dys- (dysfonctionnement), hémi-,
hyper-, hypo-, méga-, méta-, poly-...
On remarquera aussi que
certains préfixes sont banals, et d'autres expressifs (au point
qu'ils ne servent que de superlatifs).
II
- Les suffixes
1) Morts ou vivants
Un suffixe peut disparaître
pour des raisons phonétiques : s'il est constitué de voyelles
et de consonnes (-erie), il a plus de chances de survivre
que s'il se réduit à une voyelle orale (-ie).
Un suffixe dont le sens est
bien précis (-able) est aussi plus viable que si son sens
se confond avec celui d'autres suffixes, ou reste vague (-ain).
- Suffixes disparus ou non
productifs, pour les adjectifs : -ain a été
remplacé par -ien ; -able est très
productif, -ible un peu moins, -uble encore
moins (selon la conjugaison des verbes).
- Noms : -er (noms),
remplacé par -ier : soler > soulier, piler
> pilier, bacheler > bachelier, sengler >
sanglier. Le suffixe -eur disparaît, mais -ateur,
-iste (adj et nc), -ismes se développent.
- Le suffixe adverbial -ons
(à reculons) n'est plus usité, de même que le
simple -s adverbial final ; le seul suffixe
adverbial vivant, très productif, est -ment.
- La désinence verbale -ir (idée
de devenir, se transformer) est peu usitée (amerrir,
alunir) ; par contre, on fait tous les verbes avec désinence
-er (simple idée d'être), soit la conjugaison la
plus simple, ou avec des suffixes -iser, -ifier (faire).
2) Populaires ou savants
- Les suffixes
traditionnels sont passés du latin au français en
subissant des transformations phonétiques, ce qui fait
que souvent ils ne sont plus sentis comme suffixes, quand
le radical s'est modifié aussi ou a disparu ; ex : vermiculum
> vermeil (petit ver, cochenille => couleur).
- D'autres suffixes ont été
empruntés au latin avec des noms savants : -ation, -ateur,
-ature ; des éléments de
composition savante tendent à fonctionner comme
suffixes.
- Empruntés au grec : -isme,
-iste, -ite (maladies), -oïde (forme). L'élément
grec -algie fonctionne plus comme suffixe que
comme élément de composition savante.
- On trouve des suffixes
sous les deux formes sur le même radical : premier /
primaire, fileur / filateur.
- On trouve des mots
savants avec suffixes populaires, comme spirituel,
ou l'inverse, ce qui prouve que la confusion est ancienne.
Aujourd'hui, les suffixes savants sont plus vivaces, plus
créateurs, car ils sont plus consistants sur le plan
phonétique.
3) Suffixes d'origine étrangère
- Le germanique en a fourni
peu : -aud (lourdaud, noiraud, finaud), -enc
> -an (paysan, merlan, tisserand), -ard
(bavard, criard, vantard...).
- Plus récemment (XIVème),
-ade est venu du Midi.
- Le suffixe -esque
(moliéresque, soldatesque), d'origine germanique,
est venu par l'Italie.
- Bien sûr, le suffixe -ing
très à la mode aujourd'hui est d'origine anglaise. Mais
les noms ainsi formés, comme parking, n'existent
pas en anglais.
4) Suffixes-outils et
suffixes expressifs
- Les suffixes-outils
servent simplement, à partir d'un mot principal, à
former des mots secondaires d'une autre nature avec un élément
de sens minimal : marcher >
marcheur, etc.
- D'autres suffixes ont une
valeur stylistique : suffixes diminutifs (maison,
maisonnette), péjoratifs (-ard, -asse).
Certains, à la base diminutifs, fréquentatifs,
collectifs, etc., marquent aussi des nuances diverses : marmaille
évoque l'idée d'un ensemble de marmots médiocrement
sympathiques ; chantonner, verdoyer, toussoter
marquent des nuances par rapport à chanter, verdir,
tousser. On remarquera que ces suffixes-là ne
changent pas la nature grammaticale, car leur rôle est
surtout sémantique. [la Pléiade : des ruisselets
argentelets, des enfantelets mignardelets...]
III
- Les mots composés
Rappel : la composition
populaire forme une unité lexicale nouvelle à partir d'éléments
pouvant fonctionner de manière autonome dans l'énoncé. Un mot
composé n'évoque qu'une seule image conceptuelle : un œil-de-bœuf
(fenêtre ronde), un œil-de-perdrix (durillon), une pomme
de terre...
1) Composés de type archaïque
En ancien français, on
pouvait dire : le fils Aymond, ou le fils à Aymond,
ou le fils d'Aymond.
- De la 1ère tournure, il
reste : l’Hôtel-Dieu, ainsi que timbre-poste,
etc., tout ce qui correspond à nom + complément du nom
sans préposition (dans le Nord, on dira la maison mononc' Léon)
- De la 2ème : fils-à-papa
(fam. : la fille à la concierge).
2) Composés de types
vivants
La composition vivante est
celle qui peut donner naissance à des composés nouveaux sur des
modèles qui existent : 2 noms associés par juxtaposition (trésorier-payeur)
; nom + nom complément avec préposition (eau-de-vie, salle-à-manger,
arc-en-ciel) ; nom + adjectif (coffre-fort) [à
noter que l'antéposition de l'adjectif est archaïque : belle-sœur,
blanc-bec, rouge-gorge] ; verbe + COD (tire-bouchon),
ou verbe + complément avec préposition (tire-au-flanc, pince-sans-rire)...
L'ordre des mots change entre le XIIème et le XIIIème siècle ;
ainsi, la présence du nom devant le verbe ou de l'adjectif devant le
nom marque l'ancienneté (comme pour le verbe composé maintenir).
- L'usage a soudé nombre
de mots composés : bonhomme, portefeuille, gendarmes,
vinaigre, maintenir, saupoudrer, colporter...
- Les auteurs, ou les gens
ordinaires, peuvent en créer de nouveaux : la marmite-budget
(Hugo), les passagers-kilomètres, une valeur-refuge,
+ mots avec témoin, refuge, masse...
- On crée aussi des
syntagmes qu'on peut considérer comme des noms composés,
ou qui le deviendront : une assistante sociale,
les eaux usées, le petit coin (y a-t-il un
grand coin ??).