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VOCABULAIRE DÉCALÉ

Il n'est pas interdit d'inventer des mots. Parfois, d'ailleurs, sans le savoir, on les réinvente, car d'autres ont pu avoir la même (bonne) idée que vous. On a ainsi beaucoup glosé à tort sur le fameux bravitude de Ségolène Royal. Or, voilà un substantif bien fait selon les règles lexicales françaises, avec un suffixe savant exprimant un état permanent, et qui dit bien ce qu'il veut dire. On peut le rapprocher de négritude (Aimé Césaire), ou de beaufitude, que personne n'a jamais songé à critiquer ; faut-il ajouter le surréaliste bogossitude d'un certain Mickael Vendetta, champion du monde de ridiculitude ? Quant à la bravitude, les adeptes de jeux vidéo la connaissaient déjà depuis plusieurs années avant que Ségolène ne l'adopte.
Ah ! dernière minute : la toomuchité (tou-meutchité) chère à Lara Fabian est en train de battre les records. On attend la sortie imminente de la toomuchitude...

Certains mots prennent curieusement un sens nouveau, largement diffusé dans les médias, et on les retrouve à l'occasion dans les copies. Ils s'affaiblissent ou se renforcent, comme le verbe décimer, qui concernait au départ un individu sur dix (coutume joyeuse de l'armée romaine après un échec honteux), et qui veut dire maintenant couramment « massacrer, exterminer ».
Imaginons maintenant ce que signifient réellement les deux phrases suivantes contenant le même verbe
entourer :

Monseigneur Lustiger est-il circulaire, ainsi que Jean-Pierre Chevènement et l'ambassadeur de Grande-Bretagne (ces deux derniers étant de surcroît concentriques) ? Il est bien difficile pour une seule personne d'entourer quelqu'un d'autre, c'est-à-dire d'en faire le tour. On préférera donc le verbe accompagner, plus judicieux et plus exact.

Les sportifs possèdent aussi leur propre vocabulaire. Si vous entendez l'un d'eux affirmer : « J'avais de bonnes sensations, mais j'ai manqué de réussite », traduisez : « Au départ, j'y croyais, mais je me suis montré particulièrement nul ». L'avantage de ce vocabulaire, c'est de présenter le champion comme un être entièrement passif, soumis à des sensations dont il n'est pas maître, et jouet d'un destin capricieux qui lui procure ou non la réussite sans qu'on puisse tenir le pantin humain pour responsable de son propre échec. Destin impitoyable d'ailleurs, comme le montrent les exemples suivants :

Quelle est la tragédie ? Sommes-nous chez Racine ou Shakespeare, pour que le sort cruel s'acharne ainsi sur nos malheureux sportifs français ? Rassurons-nous, il ne s'agit pas d'un destin tragique, mais simplement de l'adversaire, pour lequel les sportifs ont eu besoin d'un terme collectif, et, plutôt que d'en inventer un (adversarité ?), ils ont puisé dans le répertoire existant du Petit Larousse, quitte à se tromper de colonne.

Toujours dans le domaine sportif, ne vous faites pas trop d'illusions si vous entendez des affirmations comme celles-ci :

L'invincibilité de notre (nos) équipe(s) est en effet très relative, et non absolue comme le laisse entendre le sens normal du mot. L'équipe est en effet seulement invaincue, et ne possède donc aucune potion magique susceptible de lui conférer une invincibilité, ce qui serait d'ailleurs contraire aux règlements anti-dopage. Seulement, là encore, il aurait fallu inventer un nouveau nom commun, et il a paru plus facile d'utiliser un mot qui existait, quitte à changer le sens de l'adjectif correspondant.

Heureusement pour les sportifs, il y a des chevaux qui ont de l'humour :

 D'autres mots à la mode mériteraient sans doute de trouver leur place ici. J'en citerai au moins un : le nom expertise, au sens de « qualité d'expert ». On dira par exemple : « Nous faisons appel à votre expertise ». Or, ce terme désigne en français un acte effectué par un expert, par exemple l'analyse d'un véhicule après un accident. Le sens qu'on lui donne actuellement est d'origine anglaise, et prête à confusion. Mieux aurait valu inventer un nouveau mot, et je proposerai, si vous le permettez, le nom expertance.

 Ah ! une dernière, pour la route, qui pose un problème de géométrie digne du Concours Général :

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