LES SERMENTS DE STRASBOURG (842)
Ces serments ont été prononcés à Strasbourg, le 14 février 842, par Charles le Chauve, qui s'adresse en teudisca lingua aux hommes de son frère, et par Louis le Germanique, qui s'adresse en romana lingua aux fidèles de Charles ; ils sont suivis d'une double réplique de leurs partisans respectifs. Les deux frères se promettent une assistance mutuelle contre les entreprises de leur frère Lothaire, jugé aventureux.
Ces textes nous ont été transmis, en roman et en germanique, par l'historien Nithard, qui en a peut-être été le rédacteur, vers l'an 1000. Cent cinquante ans séparent la composition du texte et sa copie, mais les Serments sont probablement authentiques. Ils représentent un échantillon du langage juridique de l'époque. Le présent texte a été établi d'après un des nombreux fac-similés du manuscrit. Ceci constitue l'un des plus anciens documents écrits du Moyen Age, avec la Séquence de sainte Eulalie (vers 900).
Attention : seuls les extraits datés de 842 sont authentiques, les autres sont des traductions ajoutées pour la compréhension de l'évolution de la langue.
Latin classique :
Per Dei amorem et per christiani populi et nostram communem salutem, ab hac die, quantum Deus scire et posse mihi dat, servabo hunc meum fratrem Carolum, et ope mea et in quacumque re, ut quilibet fratrem suum servare jure debet, dummodo mihi idem faciat, et cum Clotario nullam unquam pactionem faciam, quae mea voluntate huic meo fratri Carolo damno sit.
Latin parlé (vers le Vème siècle) :
Por Deo amore et por chrestyano pob(o)lo et nostro comune salvamento de esto die en avante en quanto Deos sabere et podere me donat, sic salvarayo eo eccesto meon fradre Karlo, et en ayuda et en caduna causa, sic quomo omo per drecto son fradre salvare devet, en o qued illi me altrosic fatsyat, et ab Ludero nullo plag(i)do nonqua prendrayo, qui meon volo eccesto meon fradre Karlo en damno seat.
Texte en roman de 842 :
Pro Deo amur et pro christian poblo et nostro commun saluament, d'ist di in auant, in quant Deus sauir et podir me dunat, si saluarai eo cist meon fradre Karlo et in aiudha et in cadhuna cosa, si cum om per dreit son fradra saluar dift, in o quid il mi altresi fazet. Et ab Ludher nul plaid nunquam prindrai qui, meon uol, cist meon fradre Karle in damno sit.
Texte en germanique de 842 :
In Godes minna ind in thes christânes folches ind unsêr bêdero gehaltnissî, fon thesemo dage frammordes, sô fram sô mir Got geuuizci indi mahd furgibit, sô haldih thesan mînan bruodher, sôso man mit rehtu sînan bruodher scal, in thiu thaz er mig sô sama duo, indi mit Ludheren in nohheiniu thing ne gegango, the mînan uuillon imo ce scadhen uuerdhên.
Français du XIème siècle (époque de Roland) :
Por dieu amor et por del crestiien poeple et nostre comun salvement, de cest jorn en avant, quan que Dieus saveir et podeir me donet, si salverai jo cest mien fredre Charlon, et en aiude, et en chascune chose, si come on par dreit son fredre salver deit, en ço que il me altresi façet, et a Lodher nul plait onques ne prendrai, qui mien vueil cest mien fredre Charlon en dam seit.
Moyen français (XVème siècle) :
Pour l'amour Dieu et pour le sauvement du chrestien peuple et le nostre commun, de cest jour en avant, quan que Dieu savoir et pouvoir me done, si sauverai je cest mien frere Charle, et par mon aide et en chascune chose, si comme on doit par droit son frere sauver, en ce qu'il me face autresi, et avec Lothaire nul plaid onques ne prendrai, qui, au mien veuil, à ce mien frere Charles soit à dan.
Français contemporain :
Pour l'amour de Dieu et pour le salut commun du peuple chrétien et le nôtre, à partir de ce jour, autant que Dieu m'en donne le savoir et le pouvoir, je soutiendrai mon frère Charles de mon aide et en toute chose, comme on doit justement soutenir son frère, à condition qu'il m'en fasse autant, et je ne prendrai jamais aucun arrangement avec Lothaire, qui, à ma volonté, soit au détriment de mon frère Charles.