Corrigés des exercices sur l'histoire
de l'orthographe
E. Jodelle, 1558 :
Si iamais rochers et bois
Ma force dans soy sentirent
Si
sous ma vois, sous mes dois
S'arrachans ils me suiuirent
Suiués
rochers, et auecq'vostre Orphee
Admirés moy d'vn grand Roy le
Trophee.
Réponses rapide ici, les éléments étant
développés pour les derniers textes.
- Les lettres j et v n'ont été inventées
qu'au XVIème siècle, on utilise le i et le u
à la place, mais on voit ici que l'usage est aléatoire
et confus.
- Le y remplace le i à la fin des mots pour des
raisons de lisibilité.
- Les lettres étymologiques de voix et doigts
ont été rajoutées en moyen français,
mais tous les auteurs ne les utilisent pas. Par contre, il y en a une
dans vostre.
- Un participe présent au pluriel voit disparaître son
t final, à cause de la prononciation du s du pluriel.
Cela reste dans l'orthographe même à une époque
où ce s n'est plus prononcé. Ici, de toute façon,
il fait la liaison.
- La désinence du verbe à la 2ème personne du
pluriel n'a pas encore été corrigée en -ez.
Ici, même l'accent est artificiel, rajouté par les éditeurs
modernes.
- Il n'y a en principe pas d'accent dans ce texte, et peu de ponctuation
(voire pas du tout à l'époque).
- Pour avecque, voir Du Bellay plus loin.
L'académicien Mézeray, fin XVIIème :
La Compagnie declare qu'elle desire suiure l'ancienne
orthographe qui distingue les gents de lettres davec les ignorants et les
simples femmes, et qu'il faut la maintenir par tout, hormis dans les mots
ou un long et constant usage en aura introduit une contraire.
Ce qui est intéressant, c'est que ce texte (non donné
à l'examen) date de la fin du XVIIème siècle, et marque
une orthographe volontairement archaïque, un refus de la modernité
demandée par les imprimeurs. On notera l'absence d'accents ; l'usage
du u à la place du v ; les mots collés dans
davec au lieu de l'apostrophe ; à l'inverse, les mots pas
encore collés dans par tout comme si on avait encore préposition
+ pronom indéfini, et non un adverbe ; le t étymologique
de gents, alors pourtant que le s final, longtemps prononcé,
avait fait disparaître le t. Et nous laisserons à l'académicien
la responsabilité de sa déclaration sur les femmes.
Rabelais (Gargantua, chapitre XVI), session de juin 2004 :
Ainsi joyeusement passerent leur grand
chemin, et tousjours grand chere, jusques au dessus de Orleans. Au quel lieu
estoit une ample forest de la longueur de trente et cinq lieues (…). A tord, a
trauers, de ça, de la, par cy, par la, de long, de large, dessus, dessoubz,
abatoit boys comme un fauscheur faict d’herbes, en sorte que depuis n’y eut ne
boys ne freslons, mais feust tout le pays reduict en campaigne. Quoy voyant,
Gargantua y print plaisir bien grand sans aultrement s’en uanter, et dist a ses
gens : « Je trouve beau ce », dont fut depuis appelle ce pays la
Beauce.
[frelon : une forme forsleone est attestée au VIIIème
siècle]
Sept phénomènes peuvent être relevés dans
le texte de Rabelais (6 étaient demandés) :
- Ni accents, ni cédilles, ni traits d'union, pas encore utilisés
à l'époque.
- Usage de la lettre u pour le son [v] : la lettre v
n'a pas encore été inventée (trauers / uanter).
- Usage du y à la place du i en fin de mot (cy
/ boys / quoy) : c'est une lettre non seulement plus belle,
mais aussi plus lisible ; elle sert donc à marquer la fin
d'un mot, ce qui est important à une époque où
on colle encore les mots, particulièrement dans l'écriture
manuscrite (les éditeurs actuels séparent les mots, et
ne respectent donc pas les textes d'origine, pour des raisons de lisibilité ;
de même, ils ajoutent de la ponctuation, et certains accents).
- usage du trigramme ign pour transcrire le phonème
"gn" (campaigne) : c'est l'une des graphies possibles
à l'époque, comme dans Montaigne, qui devrait se
lire comme montagne.
- Présence de lettres étymologiques ajoutées,
et muettes (tousjours / dessoubz / dist
/ fauscheur / faict / freslons / reduict) :
rappelons qu'il s'agit d'une orthographe savante du moyen français,
pour marquer le lien du lexique avec son histoire.
- La lettre z est encore utilisée à la place
du s : sa prononciation médiévale était
[ts], mais ici c'est un archaïsme, qui va encore perdurer.
- Dans abatoit, c'est l'orthographe de l'imparfait à
l'époque, elle est d'origine historique, et la graphie oi
remonte à l'époque où elle correspondait à
la prononciation.
Du Bellay :
Quant le roy Desier entendit le bruyt des gensdarmes
fut moult esbahy et ne scauoit que ce uouloit dire, si monta sur les murailles
de la ville et ua appeler ung des chevalliers du roy et luy dist « gentil
chevalier que ie parle auecques vous... »
Session de septembre 2004. On peut relever 9 phénomènes
au moins (8 étaient attendus) :
- Pas d'accents, presque pas de ponctuation, y compris au niveau des
paroles, non marquées d'ailleurs par une majuscule (les
guillemets n'ont-ils pas d'ailleurs été rajoutés
par les éditeurs ?).
- Quant : l'orthographe correspond à la prononciation
avec une consonne finale assourdie, généralement d'usage à
l'époque, comme nous le faisons encore en liaison.
- Usage du y à la place du i en fin de mot, parce
que c'est une lettre plus lisible, surtout à une époque
où on colle encore les mots.
- Terminaison -oit de l'imparfait, graphie remontant à
une époque où elle se prononçait ainsi (XIIème).
- Usage de la lettre u pour le son [v], la lettre v
n'ayant pas encore été inventée, ou pas encore
utilisée.
- De même pour le i au lieu du j : la lettre
j n'a été inventée qu'au XVIème siècle,
mais n'est pas encore courante au XVIIème.
- Un certain nombre de consonnes étymologiques muettes, rajoutées
en moyen français pour rapprocher les mots de leur étymologie
latine.
- Parmi ceux-ci, un cas particulier : moult vient de multum,
mais le l rajouté sert surtout à bien distinguer
l'abréviation mlt, surtout quand ce mot est collé
au suivant dans l'écriture manuelle.
- La consonne finale de ung (pour l'article ou, comme
ici, le pronom indéfini un) sert à distinguer ce
mot du chiffre 7, écrit à l'époque VII,
et même en minuscules uii (sans les points sur le i).
- Enfin, avec peut s'écrire comme ici avecques :
étymologie apud hoc, qui signifie à peu près
"auprès de cela" ; en latin populaire, c'était
à peu près [apwoke] > apoque. L'orthographe
dite développée que nous avons ici est courante à
l'époque, et conservée longtemps comme archaïsme.
Pourquoy m'offense tu, qui ne t'ay faict offense...?
(...)
Qui
t'ha, chien envieux, sur moy tant animé...?
On notera le y en fin de mot à la place du
i, parce qu'il est plus lisible ; la présence de consonnes
étymologiques, rajoutées, muettes ; les désinences
verbales n'ont pas encoré été harmonisées, et la
2ème personne du singulier ne porte pas de s final ; pas
de trait d'union, et il est vraisemblable que l'accent aigu sur le dernier mot
ait été rajouté par les éditeurs modernes ; enfin,
graphie intéressante pour le verbe avoir, avec un h étymologique
rajouté, ce qui est l'une des variantes à l'époque pour
distinguer le verbe à la 3ème personne de la préposition.
Cestui-cy
me degouste, & ne pouvant rien faire
Qui
luy plaise, il me fait egalement desplaire
Tout
ce qu'il fait luymesme, & tout ce que je fais.
Pas d'accents ; abréviation &
(esperluette) courante dès le Moyen Age pour et (appelée
improprement et commercial) ; le y
à la place du i pour des raisons de lisibilité ; les
mots encore collés ; les lettres étymologiques rajoutées.
Le pronom cestui est encore courant à l'époque, issu
de ecce iste.