
Exercices sur l'histoire
de la morpho-syntaxe
Faites les commentaires nécessaires
(mais rapides) sur les terminaisons soulignées des noms et
adjectifs dans les extraits suivants du Couronnement de Louis :
Nostre empereres a son fill apelé :
« Bels filz,
dist-il, envers moi entendez.
Vei la corone qui est desus l'altel... »
- empereres : cas sujet masculin singulier, et c'est le
sujet du verbe a apelé ; le CS masc. sing. porte
la désinence -s (issue de -us)
- fill : cas régime masculin singulier (issu de
l'accusatif filium), c'est le COD du verbe a apelé ;
pas de désinence au CR masc. sing.
- Bels filz : cas sujet masculin singulier, donc désinence
-s ; filz est ici en apostrophe, et le
latin populaire utilisait le nominatif pour l'apostrophe, non le vocatif,
qui servait à interpeller très poliment les gens importants
ou les dieux. Le CS s'applique au nom filz (filius) et
à son adjectif épithète.
- corone : cas régime féminin singulier,
où il n'y a pas de désinence. La déclinaison du
féminin en ancien français est identique à ce qu'on
trouve en français moderne (-s au pluriel, CS ou CR, à
partir de la désinence -as), autant dire qu'il n'y a déjà
plus de déclinaison féminine en ancien français.
Uns arcevesques est el letrin montez,
Qui sermona a la crestienté :
« Karles li maines a molt son tens usé... »
- uns arcevesques / montez : cas sujet masculin singulier,
et c'est le sujet du verbe est montez, donc désinence
-s au CS masc. sing ; cette désinence s'applique
au nom sujet, à son article indéfini, ainsi qu'au participe
passé montez (monté) amené par l'auxiliaire
être, participe s'accordant avec le sujet comme en français
moderne.
- el letrin (au pupitre, en chaire) : cas régime
masculin singulier, sans désinence ; c'est un complément
(lieu).
- la crestienté : cas régime féminin
singulier, où il n'y a pas de désinence ; ce nom
est complément, ici COI du verbe sermona (aujourd'hui,
il n'y a pas de préposition, le nom serait COD, mais la construction
à l'époque est la même que celle des verbes dire,
s'adresser, etc.).
- On notera que le sujet de la phrase suivante (Charles le grand,
Charlemagne) porte la désinence -s ; tens
est issu du neutre tempus, avec nominatif et accusatif similaires
en -us, et a longtemps porté la désinence, qui
reste encore dans l'orthographe aujourd'hui.
Cel jor i fu Looys alevez
Et la corone mise desus l'autel ;
Li rois ses peres li
ot le jor doné.
- Cel jor (ce jour-là) : pas de désinence ;
c'est un masculin singulier, c'est donc un cas régime ;
ce n'est pas le sujet de la phrase, mais un complément de temps,
placé en tête.
- alevez (intronisé) : désinence du cas
sujet masculin singulier, car c'est un participe passé avec auxiliaire
être, il s'accorde donc avec le sujet Looys (Louis).
- la corone (couronne) : cas sujet féminin singulier,
c'est le sujet du verbe (fut) mise ; pas de désinence
au féminin singulier, comme en français moderne.
- li rois ses peres (le roi son père la lui avait
donnée ce jour-là) : cas sujet masculin singulier,
donc avec désinence -s, et c'est le sujet du verbe ot
doné (avait donné, 3ème personne du singulier).
Commentez
les désinences des noms et des adjectifs dans les phrases
suivantes, extraites de la Chanson de Roland :
-
Carles li reis (le roi Charles) est le
sujet du verbe ad estet (est resté), ce groupe porte donc
la désinence -s du cas sujet masculin singulier. On peut
se demander quelle est l'apposition, entre le nom commun et le nom propre,
mais ces éléments s'accordent entre eux.
- set anz tuz pleins
(sept années entières) est un cas régime masculin
pluriel, donc avec désinence -s ; c'est un complément
de temps. Le nom anz entraîne l'accord des éléments
qui se rattachent à lui (tuz pleins), à l'exception
de l'adjectif numéral invariable.
Li
reis est fiers e sis curages pesmes.
- Li reis est
le sujet du verbe être, c'est un cas sujet masculin singulier,
avec désinence ; l'adjectif attribut fiers s'accorde
nécessairement avec lui, il est donc aussi au cas sujet, avec
la même désinence.
- sis curages
(son coeur) est le sujet du verbe être sous-entendu, non
répété ; ce cas sujet masculin singulier porte
donc la désinence. L'adjectif pesmes (pessimus,
très mauvais) s'accorde avec ce sujet comme précédemment.
- Comme
précédemment, li reis est le sujet du verbe ferat
(fera), ce cas sujet masculin singulier porte donc la désinence.
- de
noz ostages (de nos otages) est le complément (antéposé)
du nom testes, c'est donc un cas régime, et au pluriel
le cas régime masculin singulier porte la désinence -s.
- les
testes (les têtes) est COD de trecher (trancher), c'est
un cas régime féminin pluriel, qui porte la désinence ;
le féminin est identique à ce qu'on trouve aujourd'hui,
sans distinction entre CS et CR.
Même question, sur ces phrases extraites du Couronnement
de Louis :
- Alixandres
(Alexandre) est le sujet inversé du verbe respont (répond),
ce cas sujet masculin singulier porte la désinence -s.
- li roys Alixandres
est le sujet, ce cas sujet masculin singulier porte donc la désinence.
- nez (participe
né du verbe naître), relié au sujet
par l'auxiliaire être, s'accorde avec le sujet au CS masc.
sing., avec désinence (z = s).
- icel jour
est un complément de temps, c'est un cas régime masculin
singulier, donc sans désinence.
Ot le li enfens. (l'enfant, ou plutôt l'adolescent,
entend cela)
- li
enfens est le sujet postposé du verbe ot (entend),
c'est un cas sujet masculin singulier, avec désinence.
Por
lui plorerent maint vaillant chevalier (à cause de lui, ou sur son
compte, de nombreux chevaliers de valeur s'affligèrent)
- maint vaillant chevalier est le groupe sujet du verbe plorerent ;
c'est un cas sujet masculin pluriel, qui ne porte pas de désinence
(il n'y a pas de -s au nominatif pluriel domini en latin).
Même question, sur ces phrases extraites d'Aucassin
et Nicolette :
Et li vallés
fu grans et fors et biaus... (et le jeune homme était grand, fort
et beau)
- vallé /
vaslet / varlet = valet, du bas latin vasselitum, diminutif
de vassus (serviteur, terme d'origine celtique, les romains ne
connaissent pas la notion de vassalité) ; de la famille
de vassal (vassalum issu de vassus). Un valet
est d'abord un jeune homme, et un apprenti, comme un page, un écuyer,
pas encore armé chevalier. C'est ici un cas sujet masculin singulier,
donc avec désinence, c'est le sujet du verbe être.
On notera que la désinence -s fait disparaître le
-t final.
- Les trois adjectifs
grans, fors et biaus (grand, fort et beau) sont attributs du
sujet, ils s'accordent avec lui au cas sujet masculin singulier, avec
désinence. Le -s de grans a fait disparaître
le -t final de grant (reconstitué en grand en moyen
français, à partir du féminin). L'adjectif biaus
est une forme picarde.
...et li cevaus
sor quoi il sist rades et corans (et le cheval sur lequel il était
assis était vif et rapide)
- li cevaus
(le cheval) est forcément un cas sujet masculin singulier, il
n'y a pas d'autre solution : c'est un sujet, et le CS pluriel ne
porterait pas de désinence. En outre, le valet n'est pas
assis sur plusieurs chevaux ! Le verbe être est sous-entendu,
il n'est pas répété (c'est la suite de la phrase
précédente), c'est le sujet de ce verbe implicite.
- Compte tenu du verbe
être sous-entendu, les adjectifs rades et corans
(rade vient de rapidus, corant = courant, c'est
un pléonasme) sont attributs du sujet masculin singulier, et
portent la même désinence.
...(il) se lance tres entre mi ses anemis (il se lance
complètement au milieu de ses ennemis - lui qui n'a pas appris à
se battre, rassurez-vous, il va faire un carnage...)
- ses
anemis est un cas régime masculin pluriel, ce nom porte
donc une désinence, son déterminant possessif aussi ;
c'est un complément de lieu.
- le
main = la main (en picard, l'article féminin a la même
forme que l'article masculin, on trouve des ressemblances similaires
en picard actuel). C'est le COD du verbe, c'est un cas régime
féminin singulier. Au féminin, les formes sont identiques
à celles du féminin actuel, sans désinence au singulier.
- l'espee
est un complément (on peut dire que c'est un lieu), c'est un
cas régime féminin singulier, sans désinence.
...con
li senglers quant li cien l'asalent en le forest (comme le sanglier quand
les chiens l'assaillent dans la forêt)
- li
senglers est en situation de sujet (= comme fait le sanglier), c'est
un cas sujet masculin singulier, avec désinence.
- li
cien est le sujet du verbe assaillir ; c'est un cas
sujet masculin pluriel, il ne porte donc pas de désinence. On
voit que le verbe qui suit est à la 3ème personne du pluriel.
- le
forest est un complément de lieu, c'est un cas régime
féminin singulier, sans désinence. On notera encore l'article
féminin identique à l'article masculin en picard.