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Exercices sur l'histoire de la prononciation

Pour les transcriptions phonétiques, il n'est pas possible d'utiliser ici un API complet, et les caractères ordinaires sont utilisés, d'où des transcriptions approximatives entre guillemets, et quelques transcriptions exactes entre crochets quand c'est possible.

1) Dans les mots suivants, placez l'accent en latin, dites par quel procédé on peut le trouver, et pourquoi il se situe sur cette syllabe ; puis indiquez les différents phénomènes phonétiques qui ont conduit du mot latin au mot français :

L'accent se situe sur la 2ème syllabe du mot, qui est un [e] long, qui devient [e] fermé lors du "bouleversement vocalique" qui voit le système vocalique latin (longueur des voyelles) remplacé par le système français (aperture, voyelles ouvertes ou fermées), au IIème siècle. Nous dirons que l'accent tend à se placer sur l'avant-dernière syllabe (pénultième), mais ne peut se placer là que si la voyelle est longue ; si cette voyelle est brève, il se place sur l'antépénultième. Tout ce qui se trouve derrière l'accent disparaîtra. Il suffit donc de regarder la dernière syllabe du mot français et de la comparer à celle qui correspond dans le mot latin, l'accent était là.
La première syllabe n'a pas évolué. Derrière elle, la consonne p intervocalique a été infuencée par les deux voyelles qui l'entourent, elle s'est sonorisée en b (> sabere, ça s'arrête là en langue d'Oc), puis a changé d'articulation en langue d'Oïl, pour finir en [v] : de bilabiale, elle devient labio-dentale. Le e final est disparu, comme toutes les voyelles finales. Le e accentué a diphtongué : ei > oi > oe > we > wa (voir les détails en question 3).

L'accent se situe sur la première des trois syllabes latines, puisque le mot français ne compte qu'une syllabe. Cela signifie que le e de la 2ème syllabe (pénultième) était bref.
La consonne m finale disparaît dès le latin parlé, et la voyelle u finale s'affaiblira jusqu'à devenir un "e" muet (rappel : un "e" muet est un "e" qui n'existe pas ! Il s'agit ici de prononciation, pas d'orthographe).
Mais le phénomène le plus intéressant se situe dans le milieu du mot. La voyelle e derrière l'accent est écrasée et disparaît ; les consonnes m et r entrent donc en contact, ce qui donne une suite "mr" difficilement prononçable ; il se dégage donc naturellement une consonne b intermédiaire pour faciliter la prononciation, c'est ce qu'on appelle une épenthèse ; la consonne b (occlusive bilabiale) est la plus proche du m (nasale bilabiale).
On remarquera pour finir que la voyelle initiale u accentuée évolue très peu, d'autant qu'elle est maintenant entravée par une suite de trois consonnes derrière elle ; elle s'ouvre légèrement, et se nasalise sous l'influence du m qui reste longtemps articulé, et elle donne la voyelle nasalisée "on".

L'accent se situe sur la première syllabe, puisqu'il ne reste qu'une seule syllabe en français.
La consonne m finale disparaît dès le bas latin ; la voyelle finale a se maintiendra un certain temps, deviendra un "e" central, et disparaîtra finalement pour rester sous forme de "e" muet, présent seulement dans l'orthographe.
La voyelle u située en position faible derrière l'accent est écrasée et disparaît, assez rapidement, déjà en latin en fait.

2) Quel phénomène phonétique a concerné la première consonne du mot suivant ?

C'est le phénomène de palatalisation de la consonne c [k] devant la voyelle a. La palatalisation fait apparaître d'abord un phonème [j], semi-consonne, dont l'évolution aboutira à la consonne française "ch".

3) Quel phénomène phonétique a concerné la première voyelle du mot suivant ?

Il s'agit de la diphtongaison de la voyelle e longue et accentuée. C'est la 2ème diphtongaison, dite française, au VIème siècle (une diphtongaison est un relâchement articulatoire ; la 1ère diphtongaison, dite romane, au IVème siècle, correspond à un renforcement, et sa qualification de diphtongaison peut être considérée comme inappropriée). Elle commence par un allongement du e long devenu  [e] fermé au IIème siècle (voir plus haut), un dédoublement du type "ee", puis différenciation en "ei", qui évolue en "oi" (ici l'orthographe se fige, au XIIème siècle, parce que les textes écrits sont devenus nombreux), puis "oe" > [we] (l'accent qui était sur le 1er segment passe sur le 2nd, le 1er se raccourcit et devient semi-consonne), puis [wa] (ouverture de la voyelle). La prononciation en [we] reste la prononciation officielle jusqu'au XVIIIème siècle, mais la variante [wa] est celle de la classe populaire déjà au XIVème, et c'est celle qui dominera à partir de la Révolution de 1789.


2ème série

Quels sont les principaux phénomènes phonétiques qui justifient le passage du mot latin au mot français ?

L'accent ne peut se situer sur une finale, il se situe nécessairement sur la première des deux syllabes, quelle que soit sa longueur, il est donc sur le o.
En latin, il s'agit d'un o bref, qui va devenir un o ouvert lors du bouleversement vocalique (IIème siècle), et qui va diphtonguer lors de la première diphtongaison, dite romane (IVème siècle) - avec les réserves d'usage : une diphtongaison correspond à un relâchement articulatoire, alors qu'il s'agit ici d'un renforcement, et le terme est sans doute impropre. En commençant par une segmentation : oo (2 x o ouvert), puis une fermeture par l'avant : > uo ; puis changements d'articulation : > ue > uœ (plus central) > wœ pour se réduire à [œ] au XIIIème siècle. Le passage de la voyelle [u] à la semi-consonne [w] marque un déplacement de l'accent, qui portait sur le 1er segment, et se déplace sur le second. Le terme espagnol muela conserve la trace de la diphtongaison.
Quant à la voyelle finale a, elle s'affaiblit, comme toutes les finales ; le a étant la voyelle la plus résistante, elle ne tombe pas au VIIème comme les autres, mais s'affaiblit en e central au VIIIème, et subsiste sous la forme d'un e aujourd'hui muet, présent uniquement dans l'orthographe.

(à suivre)


3ème série

Quels sont les principaux phénomènes phonétiques qui justifient le passage du mot latin au mot français ?

(à suivre)