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HISTOIRE DE LA SYNTAXE
Autres éléments concernant le groupe nominal

I - L'adjectif épithète

1) En latin

L'adjectif épithète, comme le complément du nom, se trouve généralement devant le nom auquel il se rapporte :

Vos, meae carissimae animae (Ciceron) = vous, mes très chères âmes,...

Il s'agit là, rappelons-le, d'une tendance, non d'une obligation, car l'adjectif épithète, comme le complément du nom (génitif), peut aussi bien se situer derrière le nom.

2) En ancien français

Dans la langue francique, l'adjectif est antéposé. Cet usage perdure en anglais et en allemand. Il subsiste en dialecte picard (min neu capiau = mon chapeau neuf). Pourtant, il ne s'est pas imposé en français.

En ancien français, l'adjectif occupe une place variable, avant ou après le nom :

les blans haubers / les haubers blans (les hauberts blancs)

3) En français moderne

L'adjectif épithète se place aujourd'hui le plus souvent derrière le nom.

Cet usage, bien que dominant, n'est pourtant pas général :

C'est à partir du XVIIème siècle que se créent certaines différences entre antéposition et postposition de l'adjectif. Un exemple caractéristique est celui de même : entre la même chose (= identique) et la chose même (= elle-même), nous établissons une différence. Pourtant, au XVIIème siècle, on utilisait encore même devant le nom avec le sens qu'il a normalement quand il est derrière lui («c'est un usage qui venait de l'âge précédent», remarque Littré) :

Sais-tu que ce vieillard fut la même vertu? (Corneille, Le Cid) = fut la vertu même.

II - L'article

1) En latin

Le latin ne connaît pas l'article. Il connaît les autres déterminants, tel l'adjectif possessif, mais il s'agit en fait de ce qu'on appelle des «adjectifs pronominaux», c'est-à-dire que les mêmes termes peuvent servir de déterminants, devant le nom, ou bien de pronoms. Cette appellation a continué à être utilisée par les grammairiens français, alors même que la langue avait changé depuis bien longtemps, d'où un reste de confusion dans les esprits, comme on le voit dans des copies d'élèves ou d'étudiants.

2) En ancien français

L'article défini est un démonstratif «usé». En ancien français, l'article li (le) provient du pronom latin ille (/ illi), qui a aussi donné le pronom personnel il. Il s'est développé en roman commun. En ancien français, il conserve une valeur démonstrative (anaphorique) :

Oiez, seigneur, por Deu de majesté,

Coment Guillelmes fut le jor avisé. (Charroi de Nîmes)

= Ecoutez, Messieurs, au nom du Dieu de majesté, comment Guillaume fut renseigné ce jour-là.

L'emploi de l'article défini se répand, mais l'article zéro est encore fréquent. Les poètes du Moyen Age semblent employer indifféremment le nom sans article, le nom précédé de l'article, et le nom précédé d'un démonstratif :

Fueillissent gaut, reverdissent li pré,

Cil oisel chantent belement et soé. (Charroi de Nîmes)

= Les bois «feuillissent», les prés reverdissent, les oiseaux chantent bellement et agréablement.

L'article indéfini un vient du latin unus, qui signifiait «un seul». On trouve déjà dans la Séquence de Sainte Eulalie ce terme utilisé comme article indéfini : une spede (une épée). Cet article connaissait une déclinaison complète, avec un pluriel (uns / unes). C'est pendant la période du moyen français que la préposition de, sous une forme plurielle (des), a pris la valeur d'un article indéfini.

En ancien français, l'article indéfini est relativement rare, même au singulier :

Cuidai, beau sire, qu'el queist amistiez,

Ou itel chose que feme a home quiert. (Charroi de Nîmes)

= Je pensai, cher Monsieur, qu'elle demandait amitié, ou telle chose qu'une femme demande à un homme.

3) En français moderne

L'article défini s'est généralisé. Dans la langue classique, il précède régulièrement tous les noms, sauf devant certains noms propres (Bretagne) ou des noms d'objets uniques (paradis, enfer, lune, ciel, terre...), ou des noms personnifiés (nature, amour, fortune, hasard...). Aujourd'hui, cet usage a disparu, et la personnification entraîne une majuscule.

Dans la langue classique, l'article défini conserve une valeur anaphorique (= ce / cette), et même encore aujourd'hui :

Ah ! le pendard de Turc ! m'assassiner de la façon ! (Molière, Fourberies de Scapin)

Parler de la sorte / On interrogea un suspect ; l'homme déclara...

L'article indéfini devient régulier au XVIème siècle.

Pourtant, au XVIIème, il est encore absent avec les mots-outils autre, même, tel, tout :

...Je serais jaloux Qu'autre bras que le mien portât les premiers coups. (Corneille, Pompée)

Il est absent aussi dans un grand nombre de locutions toutes faites, ou dans les usages archaïques, comme dans les proverbes (pierre qui roule n'amasse pas mousse). Nous conservons avoir peur, avoir faim, prendre garde, etc., sans article.