HISTOIRE DE L'ORTHOGRAPHE |
A - L'ALPHABET
I - L'origine de l'alphabet
1) L'écriture
L'Histoire
commence avec l'écriture ; auparavant, c'est la Préhistoire.
Il existe encore des civilisations purement orales, mais toutes les langues modernes, évoluées, ont besoin d'être écrites, ce qui est le seul moyen pour que la culture non seulement se perpétue, mais se renouvelle et se développe.
Les premières
manifestations d'une forme d'écriture datent de plusieurs dizaines
de milliers d'années avant notre ère, et les spécialistes parlent
d'une pré-écriture en cette période préhistorique.
N'imaginons pas pourtant des signes ressemblant aux nôtres. On trouve
des incisions régulièrement espacées sur des os ou des
pierres ; des motifs abstraits sur des coquilles d'oeufs d'autruche il
y a 60 000 ans en Afrique du Sud ; des blocs d'ocre gravés
dans le même pays, datés de -70 000 à -100 000
ans, etc. En fait, ces premières inscriptions correspondent à une
sorte de code, et expriment des messages convenus (donc des phrases, quelle
que soit la forme d'expression articulée correspondante) : J'ai tué
un bison, ou C'est moi le plus fort, etc. On trouve aussi bien des
cordes à noeuds (chez les Incas) ou des dessins figuratifs, comme chez
les Esquimaux d'Alaska, ou les Iroquois. C'est un certain niveau d'abstraction
déjà, mais on ne peut pas utiliser ce système pour faire
des phrases à volonté. On parle alors d'écritures synthétiques.
Le 2ème
procédé, qui en découle, est dit analytique, ou
idéographique. Des pictogrammes sont des dessins, qui prennent
à l'usage et en se stylisant une valeur abstraite, et deviennent des
idéogrammes. Leur association permet de constituer des phrases.
On trouve des pictogrammes en Mésopotamie vers 3400 av JC, et des hiéroglyphes
en Egypte vers 3200 av JC. Les hiéroglyphes présentent une nouveauté
(comprise par Champollion) qui est l'association de pictogrammes et de signes
phonétiques.
L'écriture
phonétique (ou phonologique) témoigne d'une prise
de conscience plus poussée de la nature de la langue parlée ;
elle suppose un décorticage fin du langage oral, jusqu'à reconnaître
et isoler les phonèmes fondamentaux (en petit nombre), ce qui suppose
un niveau d'abstraction supplémentaire. Le phonogramme n'a plus
aucun contenu sémantique.
2) L'alphabet
Les premiers
alphabets phonétiques de l'Antiquité notent des syllabes,
ce qui est beaucoup moins souple que la notation des phonèmes. Ex : les
systèmes syllabiques cypriotes (Chypre) et crétois. Ils ont été
utilisés du XXème siècle avant JC au VIIIème, toujours
avant JC.
L'écriture assyro-babylonienne en caractères cunéiformes contenait un syllabaire de 500 signes (cunéiforme = en forme de coin, cuneus ; l'écriture des Assyriens, des Mèdes, des Perses était formée de signes en forme de fer de lance ou de clou diversement combinés ; le tracé simple, géométrique, était facile à graver).
Puis viennent
les alphabets consonantiques. Le 1er exemple en est l'alphabet phénicien,
vers 1100 av JC, un alphabet de 22 consonnes sans doute élaboré
dans la cité phénicienne de Byblos (inscriptions sur le tombeau
d'un roi). Les mots étaient formés pour la plupart de 3 sons consonantiques,
le timbre des voyelles étant imposé par le rôle du mot dans
la phrase. Les Phéniciens ont diffusé leur alphabet dans tout
le bassin méditerranéen : au VIIIème siècle (av
JC) à Chypre et à Carthage, puis en Afrique du Nord, en Espagne...
(colonisations puniques) ; il influencera l'alphabet arabe. On connaît
des alphabets " cousins " à l'époque (IXème), comme l'écriture
paléo-hébraïque, qui marque des consonnes faibles
(matres lectionis), indiquant approximativement la voyelle qu'il faut
lire entre 2 consonnes. Élaboré à partir du phénicien
au IXème siècle, l'alphabet araméen (Syrie) aura
une grande descendance, concernant les alphabets hébreu, arabe, et même
en Asie : les écritures mongoles et mandchoue bien plus tard.
L'alphabet
grec est le premier à noter aussi les voyelles. Il est attesté
au VIIIème siècle, mais a dû être élaboré
peu avant l'an 900 av JC. Les grecs se sont servis des mêmes signes que
les phéniciens pour noter les consonnes qu'ils possédaient en
commun, et ont adapté à leur usage les autres signes qui ne leur
correspondaient pas, pour noter les voyelles. Ex : une consonne dite aleph
(nom aussi de la 1ère lettre de l'alphabet hébreu), exprimée
du fond de la gorge, pour transcrire alpha (a, A)
L'alphabet grec a servi de modèle à tous les autres alphabets qui existent encore actuellement, comme les alphabets latin et cyrillique.
Le mot
alphabet est formé à partir des 2 premières lettres
grecques : alpha, bêta > alphabetum en latin.
II - L'alphabet latin
1) Origine
Ce sont les Étrusques, entrés en contact avec les Hellènes, qui tirent vers 700 av JC un alphabet qui servira à toutes les écritures de l'Italie, et sera répandu par les Romains dans le monde méditerranéen.
=> 23 lettres
2) En français
Au XVIème siècle, Robert Estienne compte 22 lettres, soit l'alphabet latin, sans le K (donc, en fait, 23). N'existent pas : J, V, W, pas plus que les accents, le tréma, la cédille, + peu de signes de ponctuation.
En 1542, le
grammairien Meigret propose d'allonger le i pour distinguer i
et j correspondant à 2 sons différents. On écrivait
alors iurer pour jurer.
En 1548, Ervé
Fayard a l'idée de distinguer u et v (ce dernier écrit
comme une petite majuscule). On écrivait alors uiande pour viande
; Louis = (C)lovis.
Ce n'est qu'en 1762 (4ème édition de son dictionnaire) que l'Académie a séparé i de j et u de v ; jusque là, les lettres étaient utilisées sans distinction, et seule la place dans le mot indiquait la prononciation. Les imprimeurs pourtant faisaient souvent la distinction au XVIème siècle, mais l'usage manuscrit restait archaïque au XVIIème.
Le W a eu
un sort contradictoire. Il était utilisé au Moyen Âge, après
la réforme carolingienne, comme le Y. On l'utilisait dans les manuscrits
picards, wallons, lorrains, + anglo-normands en Grande Bretagne. Il a été
créé par redoublement du V, pour noter la semi-consonne germanique
[w]. Pourtant, il est entré difficilement dans l'usage général,
et les premières éditions du dictionnaire de l'Académie
ne citent aucun mot en W, quoique dans l'usage on trouvât imprimé
un double v, souvent graphié Uv au XVIIème. Les
mots en W n'ont été isolés dans le dictionnaire qu'en 1878,
la lettre étant encore définie comme étrangère.
Le Robert, en 1964, est le premier à déclarer que le W est la
23ème lettre française.
Les copistes
du Moyen Âge ont eu l'idée d'utiliser les signes imprécis
pour noter des sons nouveaux, en faisant des combinaisons de lettres ; par exemple,
dans le Midi, lh et nh pour transcrire le l et le n
dits mouillés (palatalisés) ; sont restés ch
(= tch [t.] d'abord) et gn.
La cédille
du ç a été prise à l'espagnol (cedilla
= petit c) en 1529, par un imprimeur. Auparavant, on écrivait
parfois cz ou ce : faczon / il receoit.
L'apostrophe
a été empruntée au grec en 1532.
En Ancien Français,
x = us / z = ts.
B - L'ORTHOGRAPHE
I - Le Moyen Âge
Le but des scribes au Moyen Âge n'est pas de faire des effets, mais de transcrire ce qui était dit, de restituer une prononciation ; aux XIIème - XIIIème siècles encore, l'écriture est une sorte d'aide-mémoire, plus ou moins instable, à usage individuel ou restreint, dans une civilisation essentiellement orale. C'est à l'époque une orthographe pure, mais pauvre. [dixit Nina Catach, Langue Française n° 20] Une orthographe que l'on peut considérer comme phonologique, mais avec des insuffisances et des contradictions.
La langue
a évolué depuis le latin (le latin classique était phonétique),
et l'alphabet latin ne suffisait plus. Quelques exemples ; les mots cités
ci-après viennent des Serments de Strasbourg :
On prononce
différemment selon les régions, et chaque scribe transcrit
le même texte selon sa prononciation, ex : lieu / liu
L'évolution
du latin au français, par simplification, aboutit à des homonymes
:
Le français s'est éloigné de plus en plus des autres langues romanes, qui sont restées plus proches du latin. Par exemple, les mots qui ont donné cinq, saint, sain, sein, seing, ceint, ne sont pas devenus homophones dans les autres langues romanes, mais le sont devenus en français ; homophones, et totalement homonymes tant qu'on écrit phonétiquement.
II - Le moyen français
Le français du XIIIème siècle s'est déjà profondément modifié, sur tous les plans : phonétique (avec un raccourcissement de tous les mots), morphologique (simplifications des désinences), syntaxique (ex : l'ordre des mots), lexical (enrichissement du vocabulaire). Mais l'orthographe se fige alors que la prononciation continue d'évoluer. Du XIIIème au XVIème siècle, nombre de tentatives auront lieu pour modifier l'orthographe des mots, particulièrement à la Renaissance. Les grammairiens ou les poètes y joueront un rôle important, mais aussi les imprimeurs.
L'amélioration
de l'alphabet au XVIème, nous l'avons signalé dans la partie précédente.
L'utilisation
de lettres destinées à améliorer la lisibilité :
=> on utilise les consonnes latines les plus faciles à repérer.
Le recours
systématique à l'étymologie, qui donne une identité
aux mots, et / ou permet de les distinguer de leurs homophones :
six < sex, mais dix < decem poids < pensum (et non pondum)
legs vient de laisser, non de léguer ; sceau vient de sigillum, sans c (admis ensuite par l'Académie)
Ces modifications
sont essentiellement consonantiques : par addition de consonnes ; mais
ce sont des lettres muettes ; leur utilité est visuelle, elle est logogrammique,
l'orthographe prend un aspect idéographique, donc non phonétique.
Le recours
aux accents, dans le même but logogrammique : le verbe avoir
a été écrit il ha, avant qu'on mette un accent grave
sur la préposition. Tous les accents graves sur des lettres autres que
e ont ce même but (à, où, là)
Les consonnes
doubles :
Toutes ces modifications sont dues à des spécialistes de la langue, comme Meigret ou Robert Estienne, à des écrivains comme Ronsard (plus tard, Corneille), mais aussi à des utilisateurs particuliers de la langue écrite, les praticiens des écritures judiciaires ; et beaucoup aux imprimeurs, le plus important étant sans doute Geoffroy Tory au XVIème siècle (1480-1533), correcteur et premier imprimeur royal, principal réformateur de l'orthographe française à son époque. Ce sont les imprimeurs qui ont fait naître la notion d'orthographe en France, entre 1520 et 1530. Ils avaient un grand besoin de règles unificatrices, de même que les rédacteurs judiciaires (pour que les lois ou les jugements soient compris partout).
Exemple d'orthographe "moyenne" à la Renaissance :
Si iamais rochers et bois |
III - L'époque classique (XVIIème-XVIIIème)
Le mouvement
de simplification lancé par les imprimeurs au XVIème siècle
(appuyés par des auteurs comme Ronsard) échoue en grande partie
; l'une des raisons principales est que les gens trop en avance ont été
soupçonnés de protestantisme, et ont dû s'expatrier (ex
: en Hollande) ; ne sont donc restés que ceux qui étaient au service
de la monarchie, et qui ont perpétué la tradition.
Le principe au XVIIème siècle est qu'on ne doit pas changer les habitudes établies. A la fin du siècle, l'académicien Mézeray écrit encore, dans un projet pour le Dictionnaire de l'Académie de 1694 :
La Compagnie declare qu'elle desire suiure l'ancienne orthographe qui distingue les gents de lettres davec les ignorants et les simples femmes, et qu'il faut la maintenir par tout, hormis dans les mots ou un long et constant usage en aura introduit une contraire.
Cependant,
la " nouvelle orthographe " (simplifiée, celle des imprimeurs) continuait
à vivre, en province, et dans certains milieux, comme le montre le dictionnaire
de Richelet en 1680, qui simplifie des consonnes doubles, supprime des lettres
qui avaient été rajoutées (y compris des lettres grecques),
compensant ce manque par l'emploi de l'accent aigu, et partiellement de l'accent
grave, etc. ; il écrit batême, ateindre, mistère...
Corneille aussi, en 1663, se prononce en faveur de l'accent grave, du s
au lieu du z comme signe du pluriel, utilise le j et le v
(adoptés par l'Académie). La concurrence des imprimeurs hollandais
fait un peu évoluer les imprimeurs français.
Au XVIIIème
siècle, de grands changements ont lieu à partir de 1740, quand
les philosophes entrent à l'Académie. Plus du quart du vocabulaire
est transformé et modernisé, par suppression de lettres inutiles
(h : autheur > auteur, authorité > autorité),
des consonnes muettes (adjouster > ajouter, adveu > aveu,
debvoir > devoir), malgré quelques oublis (sculpteur,
baptême), remplacement du es interne marquant la prononciation
par ê (estre > être) ; en 1762 (seulement !), mise
en place de l'accent grave. Voltaire fait adopter l'orthographe ai au
lieu de oi (françois, anglois), fait corriger les
formes verbales j'estois, je feroi, je finirois, etc.
IV - L'époque moderne
Par la suite,
l'oeuvre des philosophes ne se poursuivra pas sous Napoléon ; à
la Restauration, l'Académie ne cherchera qu'à survivre ; les éditions
du Dictionnaire qui suivront marqueront même des retours en arrière.
C'est en 1835 que l'Académie adopte définitivement la position
de Voltaire sur le remplacement de oi par ai, et quelques autres
modifications (des enfans > des enfants, des parens
> des parents ; le Journal des Savans). L'Académie Française
fait autorité ensuite au XIXème siècle, mais la fin du
siècle voit naître le Littré et les grands dictionnaires
Larousse.
Au XXème
siècle, les propositions de l'arrêté de 1901 ne seront jamais
appliquées (rôle de la guerre sans doute, entre autres). En 1935,
d'autres directives, très timides, sont quasiment sans effet. Des arrêtés
de 1977 ont été proprement escamotés. L'Académie
perd son prestige, son dictionnaire est dominé par ceux des éditeurs
(Larousse ; Robert en 1964).
La dernière
réforme date de 1990. Elle n'a pratiquement jamais été
diffusée. Pourtant, peu à peu, les dictionnaires enregistrent
de nouvelles graphies d'une édition à l'autre (plus de 1500 rectifications
dans le Petit Robert de 1993). Cette réforme est très mesurée
et pleine de bon sens :
Remplacement de certains traits d'union par la soudure, en particulier dans les mots composés étrangers : portemonnaie, weekend. |
Simplification du pluriel de certains mots composés : des pèse-lettres. |
Pour l'accent grave sur e : application de la règle générale aux verbes en -eler et -eter ou du type céder, ainsi qu'aux formes interrogatives (je) : j'allègerai, il ruissèle, puissè-je... (exceptions pour appeler et jeter) |
L'accent circonflexe est facultatif sur i et u, sauf dans les conjugaisons (passé simple et subjonctif) et dans quelques monosyllabes où il joue un rôle distinctif : mur / mûr. |
Le tréma est placé sur la voyelle qui doit être prononcée : aigüe, argüer, gageüre. |
Pour les mots empruntés, l'accentuation et le pluriel suivront la règle des mots français : des imprésarios, des jazzmans, des maximums. |
Rectification d'anomalies : boursouffler (comme souffler), charriot (comme charrette), joailler, interpeler, dentelière... |
Le participe passé du verbe laisser suivi d'un infinitif est invariable : je les ai laissé partir. |
V - État actuel de l'orthographe française
1) Inadaptation de notre alphabet
2) Archaïsmes
L'orthographe
s'est figée selon une prononciation ancienne, elle est donc alors historique
:
Corrections
étymologiques :
3) Influence des mots savants
4) Contradictions (courantes)
C - LES ACCENTS
et signes diacritiques
Les dignes diacritiques sont les signes qui se placent au-dessus ou au-dessous des lettres de l'alphabet pour indiquer une valeur phonétique différente. Il s'agit des accents, du tréma, de la cédille ; le tilde ~ n'est plus utilisé en français, il l'est dans d'autres langues : en espagnol, cañon ; doña Sol, chez Victor Hugo (Hernani) ; en portugais, la voyelle ã est nasalisée : sertão [seRtãw].
En moyen français, les consonnes muettes rajoutées pour marquer la prononciation des voyelles sont des lettres diacritiques.
Les accents ont pour origine ce qu'on appelle les esprits grecs. Un esprit est une aspiration ; le grec avait l'esprit doux, qui s'écrit comme notre accent aigu, et l'esprit rude, qui correspond à notre accent grave. Les esprits grecs se plaçaient surtout sur la voyelle initiale des mots, l'esprit rude servant à signaler que la voyelle était aspirée (ce qu'on transcrit en français par un h), et l'esprit doux marquant que la voyelle n'était pas aspirée.
Au IVème siècle, les accents ont commencé à être repris pour écrire le latin tardif, mais dans un usage détourné, surtout pour éviter la confusion entre les homographes. C'est en ce sens qu'ils ont été repris par les copistes du Moyen Âge dans leurs manuscrits : par exemple, pour la préposition à, pour la distinguer non du verbe avoir, mais du mot qui la suivait, car les mots n'étaient pas séparés.
Jusqu'au XIXème siècle, l'Académie (et certains auteurs) a écrit avec un accent grave sur la préposition (non française) dans certaines expressions latines : à priori, à posteriori, à minimà, ainsi que suprà, infrà. L'accent circonflexe sur le a final servait, jusqu'au XIXème encore, à distinguer l'ablatif -à du nominatif -a.
Les accents ont donc été utilisés en français d'abord comme signes de distinction, puis comme marques des différentes voyelles phonétiques. En 1530, Robert Estienne a introduit le é pour distinguer deux voyelles différentes à la finale, comme aise / aisé.
Notre accentuation est souvent défectueuse, car elle a été introduite tardivement, et a été précédée par des procédés empiriques parfois maintenus longtemps de manière artificielle. Par exemple, le doublement de la consonne suivante pour marquer le e ouvert (j'appelle, mais je pèle) ; on garde toujours des mots sans accents grâce à une consonne finale muette, avec e fermé : clef, nez, chez, ou l'infinitif aimer, la 2ème personne du pluriel vous aimez ; avec e ouvert : cadet (aujourd'hui, e fermé) ; ou bien e ouvert suivi d'une consonne finale non muette : ciel.
I - L'accent aigu
C'est l'accent le plus utilisé aujourd'hui ; exemple : hétérogénéité. Introduit donc en 1530 par Robert Estienne. Il se place exclusivement sur la lettre e, pour marquer une prononciation. En principe, celle du [e] fermé. Ainsi, le [e] final : la bonté, un musée, elle a été créée. Son utilisation est le plus souvent logique.
Il correspond pourtant à e ouvert dans quelques mots, et l'orthographe a été maintenue en dépit de la prononciation : événement, allégement, réglementer (règle, règlement), crémerie, sécheresse ; les verbes au futur et conditionnel, comme je céderai / céderais (faits sur l'infinitif) ; les tournures verbales inversées comme "...osé-je lui dire,..." (c'est un présent). Des arrêtés de 1977, confirmés par la réforme de 1990, recommandent d'écrire avec accent grave pour se conformer à la prononciation.
Historiquement, l'accent aigu a servi couramment à noter le e ouvert final jusqu'au XVIIème siècle : aprés, dés que, succés... La ville de Liège ne s'écrit plus Liége depuis 1946.
L'accent aigu pose quelques problèmes dans des familles de mots, quand il n'existe pas dans la base mais apparaît dans un dérivé :
concret > concrétiser, discret > discrétion, remède > irrémédiable, reproche > irréprochable, serein > sérénité, tutelle > tutélaire
II - L'accent grave
Introduit au XVIème siècle aussi, il est resté d'un emploi limité et incertain : Jacobus Sylvius, médecin et grammairien, l'a utilisé en 1532 pour marquer le e sourd : gracè, vestèment. Il s'utilise sur toutes les voyelles (sauf y), pour des usages différents.
1) Emploi logogrammique
Sur les voyelles autre que e.
Il sert à distinguer les homographes : à / a, où / ou, çà (adv de lieu) / ça (pronom démonstratif), là (adv) / la (article, pronom personnel) + voilà (vois là, voyez là [veez]), mais cela (inutile). Cet emploi a été systématisé par Ronsard.
2) Emploi phonogrammique
Sur la voyelle écrite e.
Il sert à marquer la prononciation du [e] ouvert, concurrencé en cela par les orthographes en ai. C'est Corneille qui a eu le premier l'idée de distinguer par des accents différents le e ouvert du e fermé. L'accent grave s'est généralisé lentement dans l'usage qui lui est propre : nous l'avons dit précédemment, il n'a été mis en place par l'Académie qu'en 1762 ; c'est même seulement en 1878 que l'Académie écrit enfin sève, piège, siège.
III - L'accent circonflexe
Sur toutes les voyelles, sauf le y.
Il a été aussi appelé chevron (usage attesté par Littré). Il a été introduit en 1532 par Jacobus Sylvius, qui s'en servait pour marquer des diphtongues : les boîs. Certains, peu après, l'utilisèrent pour marquer la chute d'un e à l'intérieur d'un mot : vrai^ment, il pai^ra. En 1618, il a commencé à servir pour marquer la suppression d'un s : tôt, toûjours, soûtenir, plûtôt... ; cet emploi a été adopté en 1740 par l'Académie, qui en a supprimé quelques uns en 1762 : vû, reçû > vu, reçu.
Il possède au total plusieurs usages avec des valeurs historiques variées :
Pour indiquer
la présence d'un s amuï (depuis 1740 donc) :
bestia > bête, castellum > château, insula > île, testa > tête, fenestra > fenêtre, forestis (°silva forestis = "forêt en dehors [foris] de l'enclos") > forêt,
augustus (= mois d'Auguste) > août, crispus (adj = "frisé") > crêpe
Pour indiquer
l'amuïssement d'une voyelle en hiatus :
eage ou aage > âge (< °aetaticum ; aetas, aetatem > éé, aé > disparu, trop court)
traïtre > traître (adapté d'après trahir, du latin traditor)
saoul > soûl (°satullus), meür > mûr (< maturus)
Ou une syllabe
disparue :
aneme > âme (anima), Rhodne > Rhône (Rhodanus)
Il se place
sur certains adverbes en -ment, où l'on n'a pas le e muet
de l'adjectif au féminin : crûment, assidûment, goulûment,
indûment ; idem gaîment / gaiement ; mais on écrit
absolument, éperdument
Valeurs phonogrammiques
:
Valeur logogrammique
: il distingue des homophones (ou quasi homophones), qui seraient homonymes
complets si l'on ne mettait pas l'accent :
tache / tâche, jeune / jeûne, chasse / châsse, bailler / bâiller, roder / rôder, cote / côte, matin / mâtin, mur / mûr + notre, votre / le nôtre, le vôtre
En conjugaison,
il distingue le passé simple du subjonctif imparfait, à la 3ème
personne : il eut / qu'il eût
Il y a aussi
des origines analogiques, comme voûte, d'après croûte
; ou les passés simples, pour lesquels la 1ère personne du pluriel
nous chantâmes, nous fûmes, a été refaite sur
la 2ème vous chantâtes, vous fûtes
On peut parler
aussi d'un accent de majesté sur des mots où il correspond à
une certaine utilisation, en fonction du sens, comme grâce, suprême.
Comme on peut le constater, certaines valeurs s'ajoutent, se superposent, comme une origine historique et une valeur phonogrammique, voire un accent de majesté (grâce).
Les irrégularités sont nombreuses. L'accent de la base peut disparaître ou changer sur les dérivés :
bête / bétail, extrême / extrémité, cône / conique, fantôme / fantomatique, infâme / infamie, pôle / polaire...
III - Le tréma
Sur e, i, u.
Il a été introduit en 1532 par Jacobus Sylvius, notamment sur i et u voyelles pour les distinguer de i et u consonnes ; celles-ci seront ensuite remplacées par j et v. On a écrit : On les loüe (La Fontaine) - Sur l'oüate molle (Boileau) - L'ïod (Turgot, dans l'Encyclopédie) [yod]. On trouve encore Montparnasse-Bienvenüe, station de métro à Paris.
Le tréma
sert à marquer une disjonction, un hiatus, entre 2 voyelles successives,
pour montrer qu'on n'a pas affaire à un digramme ni à une suite
semi-consonne + voyelle :
haïr ['aiR . eR]] héroïsme [eRoism] (comparer : roi [Rwa])
coïncidence (comp : coin), amuï (comp : nuit), maïs (comp : mais)
Il sert à
marquer que la voyelle u a sa valeur propre derrière un g
; on le place alors sur la voyelle qui suit, particulièrement le e
du féminin : aiguë, ambiguë, l'ambiguïté, la
ciguë. La dernière réforme de l'orthographe recommande
de le placer plutôt sur le u : aigüe.
. Dans la même optique (nouvelles recommandations), il pourrait servir à éviter une mauvaise prononciation en montrant que le u est prononcé dans une gageüre [-yR], argüer [aRgye].
Dans quelques
cas, il indique que le e ne joue aucun rôle phonologique : Mme
de Staël, Saint-Saëns.
Sur le i,
il peut marquer le son yod semi-consonne [j] : aïeul, faïence,
païen.
Il reste des
cas particuliers de mots d'origine étrangère, scandinave par exemple,
avec un tréma sur a ou o.
IV - Annexe : petite histoire des liaisons
La liaison consiste à prononcer, éventuellement avec une altération (sonorisation ou assourdissement), une consonne finale muette lorsque le mot suivant commence par une voyelle. En linguistique, c'est une forme particulière de l'enchaînement, de la chaîne des sons, qui est propre à l'oral (alors que l'écrit détache les mots). Ex : les enfants sont arrivés sans encombre.
La liaison est le reste d'un usage ancien, selon lequel les consonnes finales se prononçaient toutes ; c'est donc la persistance d'un ancien enchaînement. Des adjectifs comme long et grand s'écrivaient lonc et grant, conformément à leur prononciation, laquelle s'est maintenue dans la liaison (un grand homme) ; sang se disait [sãk] > qu'un sang impur abreuve...
En Moyen Français,
les consonnes finales sont disparues à la pause, du XIVème au
XVIème siècle. Au XVIème, quasiment aucune consonne finale
ne se prononce plus, sauf si elle est suivie par une voyelle, ou bien à
la fin d'une phrase.
Au XVIIème
siècle, on réintroduit des consonnes finales, mais de manière
assez anarchique ; il y aura un bon usage, différent de l'usage populaire,
et avec des contradictions. Les infinitifs des verbes du 1er groupe ont conservé
la prononciation [e], avec r muet, de même que les noms et adjectifs
terminés par -er / -ier : rocher, cerisier. Dans les autres
cas, le r a été restitué à des époques
différentes. Au XVIIème siècle, Richelet disait tiroi
pour tiroir ; un grammairien trouvait choquant de faire sonner le r
final dans miroir, mouchoir ; il était distingué de prononcer
mouri, couri, pour mourir, courir. On recommandait aussi
de dire i faut pour il faut (Milleran, grammairien, fin XVIIème).
Au XVIIIème,
c'est devenu vulgaire, et un grammairien (Moulis, 1761) recommande qu'on se
garde «de supprimer l'r, comme les bourgeois de Paris, et de dire
dortoi, tiroi». Il y a eu même de fausses restitutions
: à Paris, on disait au lieur de, pour au lieu de ; un
grammairien commente : «cela sent un peu l'artisan et la boutique».
Cette faute a disparu au XIXème. Pour le pronom personnel, la prononciation
"pédante" il dit, ils sont, ils ont (avec
l, et liaison) s'est généralisée depuis la Révolution
sous l'influence de l'écriture.
État actuel :
Certaines
consonnes finales sont toujours prononcées : un arc, une nef, un bac
/ le bac (abrév.)
Des liaisons
sont obligatoires pour marquer le pluriel : ils arrivent
On lie un
adjectif antéposé au nom qui le suit, mais rarement un nom à
l'adjectif postposé : un grand homme, un petit enfant // un marchand
astucieux, un savant amoureux. Idem : trop aimable. Locution figée
: le cas échéant.
De manière
générale, la liaison se fait entre deux mots appartenant au même
groupe phonologique (surtout : déterminant + nom, sujet + verbe, ou verbe
+ adverbe), mais pas entre les groupes : Cinq minutes avant sa mort, il vivait
encore (= "tencore" / Ces questions ont perdu de leur intérêt
(non : zont perdu). Si l'on fait une pause, la liaison disparaît
: Vous avez mis deux " r " au lieu d'un (non : "deux zère").
Il existe
des locutions figées où la liaison se fait : pas à pas,
de bas en haut, corps et âme (attention : à cor et à
cri = chasser "avec le cor et avec les chiens" > "en insistant"), gros
et gras, le pot-aux-roses... (Louis Jouvet dans Knock : un
corps-z-étendu, liaison fautive, diction artificielle)
Il existe
même des liaisons fautives, mais admises, et écrites : vas-y,
donnes-en, entre quatre-z-yeux (Queneau : Elle commanda-t-une camomille
/ On frappa-z-à la porte). Les fausses liaisons en t s'appellent
des cuirs, en z des velours...
Dans le discours,
les liaisons sont le plus souvent facultatives ; on en trouve seulement 2 à
3%, par rapport à tout ce que l'on pourrait faire ; elles dépendent
beaucoup du niveau de langue (cf neuf ans = [nœvã / nœfã]),
du milieu social, de l'âge, de la région. On trouve aujourd'hui
sur les médias des journalistes et (surtout) des hommes politiques qui
vont marquer une pause, mais faire la liaison quand même : " Les électeurs
ont... (= onte) entendu notre appel " ; et même " onte...
répondu à... " (Jacques Chirac), de même qu'on prononce
le coût " le coûte de l'opération ".