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HISTOIRE DU LEXIQUE FRANÇAIS

I - État du lexique

1) Le vocabulaire commun

Combien de mots la langue française comporte-t-elle ? C'est impossible de le dire réellement.

Il faut d'abord s'entendre sur ce que c'est qu'un mot. Un mot composé comme pomme de terre est-il à compter comme 1 ou 3 ? Les multiples formes du verbe être forment-elles chacune un mot différent ? Nous choisirons, c'est la position de bon sens, de considérer qu'il s'agit à chaque fois d'un mot unique, même s'il prend une forme graphique multiple, ou possède une grande variété de formes (sinon : le singulier et le pluriel seraient à compter à chaque fois comme 2 mots différents : enfant / enfants, cheval / chevaux, oeil / yeux...). A l'inverse, il faut compter les homonymes (homophones + homographes) comme des mots différents. On remarquera aussi qu'un mot a des sens différents, mais liés sémantiquement entre eux, et on n'est pas alors dans l'homonymie mais dans la polysémie.

On peut quand même essayer d'évaluer le vocabulaire commun du français, avec les réserves qui s'imposent, et en précisant comment on arrive à un compte donné.

Les dictionnaires comptent entre 30 000 et 100 000 mots environ (du Dictionnaire du français au collège chez Larousse au Grand Robert). Or, ils ne répertorient qu'un nombre limité de mots techniques ou scientifiques, qui sont innombrables et réservés aux lexiques spécialisés.

Des spécialistes ont dépouillé un grand nombre de textes situés entre 1785 et 1965 (dépouillement pour le Trésor de la Langue Française). Ils sont parvenus à 71 640 vocables (mots). Dont 907 très fréquents. Il s'agit du vocabulaire dans le langage écrit. Le langage parlé est bien plus pauvre.

Quelques autres statistiques, et des comparaisons avec d'autres langues : un livre de littérature populaire peut compter un demi-millier de mots (Sans Famille, d'Hector Malot, 439) ; un livre mieux écrit, 3 fois plus. La Bible, en anglais (c'est équivalent sans doute en français), 6000 mots ; mais une traduction " basique " la réduit à 850. Shakespeare " monte " à 24 000 mots. Le vocabulaire possédé par une personne peu instruite peut être évalué à 3 000 ou 5 000 mots ; 10 fois plus pour une personne instruite.

Toutes ces données sont à nuancer, car le vocabulaire est un ensemble mouvant en constante évolution.

2) Composition du lexique

En fonction de l'histoire de la langue, on peut compter les mots selon leur origine :

II - Histoire

1) Le Moyen-Âge, jusqu'au XIIIème siècle

Au XIème siècle, la langue de la Chanson de Roland est encore assez pauvre, et toute concrète, bien que ce soit une langue "savante" pour l'époque. Au XIIème, la langue est plus riche, capable d'exprimer des analyses psychologiques et des nuances de sens. Par exemple, le mot mort était seul de sa famille ; dans le Roland apparaît mortel ; au XIIème, mortellement, mortalité, puis mortifier, mortification. Aux XIIème et XIIIème apparaissent des mots comme obscur, obscurité, obstacle, dont on aurait du mal à se passer aujourd'hui.

2) Le Moyen-français (du XIVème au XVIème)

Selon des statistiques (de Pierre Guiraud) portant sur 20 000 mots souches actuellement vivants (en dehors des multiples mots techniques du XXème, entre autres), 22% remontent à l'ancien français, 43% sont entrés dans l'usage du XIVème au XVIème siècle, et 35% depuis. Le fonds ancien (dont nous venons de parler) représente donc à peine plus d'un mot sur 5, et un peu moins de la moitié ont été créés pendant la période dont nous allons parler. C'est la période de création lexicale la plus intense de l'histoire de notre langue.

Remarque : le sens et la valeur des mots évoluent. Un mot créé à une certaine époque ne doit pas forcément être pris dans son acception actuelle, avec son importance actuelle ; par exemple, patriote, au XVème (= compatriote), ne peut pas avoir la valeur qu'il a prise à partir de la Révolution (= qui aime sa patrie). Il y a un certain nombre de mots qui sont nés une 2ème fois, que l'on a revivifiés bien longtemps après ; des mots aussi qui ont fortement changé de sens, qui ont parfois pris un sens contraire par ironie, par antiphrase (ex : catin : diminutif de Catherine, influencé par putain).

3) Le français classique (XVIIème à mi-XVIIIème)

Il y a eu au XVIIème siècle une rupture totale, par une volonté d'élaguer (donc appauvrir), préciser et épurer la langue, concernant le lexique et la syntaxe (les tournures).

La richesse du XVIème est souvent une fausse richesse : beaucoup de mots n'ont pas de sens bien précis, ni de valeur stylistique déterminée. Chez Montaigne, art, science ou doctrine s'échangent au petit bonheur.

4) Le français moderne (XVIIIème - XIXème)

Le XVIIIème siècle marque une réaction et un retour aux réalités.

5) Le français contemporain

L'évolution du français contemporain (XXème - XXIème siècle) est plus délicate à analyser, car nous manquons de recul ; mais il y a bien plus de spécialistes qui s'en occupent qu'autrefois, et on peut dessiner quelques tendances :