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Corrigé des exercices sur les natures

Exercice 4 :

UN ECRIVAIN A LA BASTILLE AU XVIIIème SIECLE

[L'écrivain Marmontel vient de manger le repas qui était destiné à son domestique Bury]
Tandis que j'arrangeais ma table pour me mettre à écrire, le geôlier revint me demander si je trouvais mon lit assez bon. Après l'avoir examiné, je répondis que les matelas en étaient mauvais et les couvertures malpropres. On me fit demander aussi quelle était l'heure de mon dîner. Je répondis : « L'heure de tout le monde... »
Lorsque nos geôliers, ayant déposé tous les plats, se furent retirés : « Monsieur, me dit Bury, vous venez de manger mon dîner ; vous trouverez bon qu'à mon tour je mange le vôtre. » « Cela est juste », lui répondis-je.
(Marmontel)

1. Déterminants :

ma table - mon lit - nos geôliers - mon dîner - mon tour : adjectifs possessifs
L'adjectif (déterminant) possessif est variable en genre et nombre, avec une indication de personne (ici, la 1ère, du singulier ou du pluriel). C'est le déterminant du nom devant lequel il est placé, sans qu'aucun autre élément ne puisse s'insérer entre les deux ; le déterminant permet au nom de s'actualiser dans une phrase, d'y prendre un rôle syntaxique (fonction) et sémantique précis. L'adjectif possessif exprime un lien à une personne, celle-ci étant à entendre au même sens que dans la conjugaison, exprimée par un pronom personnel ; ici, il s'agit de liens à la 1ère personne, du singulier ou du pluriel, sans qu'on puisse parler d'appartenance. Attention à ne pas confondre le pronom personnel, qui exprime la personne, et l'adjectif ou le pronom possessif, correspondant à ce qui est lié à la personne (ce qui est à moi n'est pas moi !). La 1ère personne du singulier, c'est le locuteur, en termes d'énonciation, la 2nde s'appelant l'allocutaire ; les pluriels nous et vous comprennent le locuteur et une ou plusieurs tierces personnes, idem pour l'allocutaire, ou bien plusieurs allocutaires réunis (locuteur = moi, celui qui parle ; allocutaire = celui à qui je parle).

le geôlier - les matelas - les couvertures - l'heure (2 fois) : articles définis
L'article défini est le déterminant de base. Il est variable en genre et nombre. Il détermine le nom qui le suit, lui permettant de s'actualiser dans une phrase. Il permet d'exprimer un élément précis dans un contexte donné : le geôlier, les matelas, les couvertures sont des éléments uniques et connus dans le récit. Toutefois, il sert à exprimer aussi des généralités, comme dans Il prend le train.

quelle était l'heure : l'adjectif interrogatif (indirect, ici) quel, variable en genre et nombre, est indiscutablement déterminant dans une phrase où il se situe seul juste devant le nom, par exemple : Il lui demanda quel plat il voulait manger. Ici, la situation est différente, puisqu'on l'analysera comme en situation d'attribut du sujet inversé l'heure, lui-même étant composé d'un nom avec déterminant, article défini. On peut envisager la transformation d'un déterminant interrogatif en adjectif qualificatif pour expliquer cette fonction, mais c'est une solution peu satisfaisante. Il est bien plus logique de considérer qu'il ne s'agit pas ici d'un déterminant, mais d'un pronom interrogatif. On peut en effet trouver un pronom en situation d'attribut : L'heure de mon dîner était celle-ci. Quand l'attribut est un pronom, un nom propre ou un GN complet et précis, nous sommes dans le cas-limite de l'attribut, celui où il sert simplement à exprimer l'identité du sujet (ou du COD), comme dans les phrases : Je suis Jules Dupont (= je décline mon identité) / je suis le PDG de l'entreprise / Vous n'êtes pas moi.

tout le monde - tous les plats : adjectifs indéfinis
L'adjectif indéfini est variable en genre et nombre, comme tout déterminant, qui s'accorde nécessairement avec le nom qu'il précède. Sur le plan distributionnel, il précède et détermine le nom, mais l'adjectif indéfini tout s'utilise rarement seul devant le nom (auquel cas il prend le sens de chaque), il est souvent associé à un 2ème déterminant, comme ici à un article défini ; on dit alors qu'il est en situation de prédéterminant. Le déterminant permet au nom de se réaliser et de s'actualiser dans une phrase. L'adjectif indéfini apparaît comme une sorte de fourre-tout, à cause de l'apparence hétérogène des mots (aucun - chaque - quelque(s) - plusieurs - tout, tous...), mais sur le plan sémantique, il exprime systématiquement une notion de quantité, jamais chiffrée, nous le qualifierons donc de quantitatif vague.
Attention à bien analyser certaines tournures, certaines locutions qui sont bien des déterminants indéfinis, malgré l'apparence : la plupart des... / nombre de... beaucoup de... / bien des... Il ne s'agit là ni de noms, ni d'adverbes, et beaucoup de locutions de ce type se transforment en déterminants quantitatifs (indéfinis ou numéraux) ; quand il s'agit d'un sujet, l'accord se fait avec le nom qui suit : La plupart des gens pensent que... / Une majorité de gens sont concernés / Une dizaine de soldats sont morts (et non est morte !), etc.

2. Pronoms

Pronoms personnels : de 1ère personne, je - me ; de 2ème personne du pluriel, vous (de politesse) ; de 3ème personne du singulier, la forme le élidée dans après l'avoir examiné ; le pronom personnel et indéfini on ; la forme réfléchie se furent retirés ; la forme complément en étaient mauvais ; la forme complément lui de 3ème personne du singulier
- morphologie : le pronom personnel est variable en personne, genre, nombre, fonction, sens et place. On trouve trois personnes au singulier et trois au pluriel, et le genre féminin n'apparaît clairement qu'à la 3ème personne ; pour les autres personnes, le genre n'apparaît que dans les accords éventuels. Chacun possède théoriquement trois formes selon la fonction et la place : je - me - moi, tu - te - toi, il - le - lui, ils - les - leur... ; on parle de forme réfléchie pour les verbes pronominaux quand le pronom conjoint est de la même personne que le sujet et le représente, comme dans se furent retirés, (mais le verbe peut être réfléchi, réciproque, à sens passif ou essentiellement pronominal). Le pronom en est à compter comme pronom personnel quand il est remplaçant total, comme ici ; il correspond à un complément introduit par de, et y correspond à un complément introduit par à, comme dans J'y pense. Attention, ces mots sont des adverbes (ou pronoms adverbiaux) quand ils sont compléments de lieu ; en peut être à compter dans les pronoms indéfinis quand ce n'est pas un remplaçant total ; et il existe aussi la préposition en, qui est un homonyme.
- distribution et syntaxe : un pronom n'est pas précédé d'un déterminant. Le pronom personnel assume de manière quasi exclusive les fonctions nominales, avec éventuellement utilisation de le comme attribut du sujet. Nous avons ici les pronoms sujets je et vous ; me mettre à écrire : me est en situation de COD, mais le verbe est en fait essentiellement pronominal, et le pronom n'a pas vraiment de fonction ; me demander et on me fit demander : me est COI 2nd de demander ; après l'avoir examiné : l' est COD de examiner ; les matelas en étaient mauvais : en est complément du nom matelas ; on est sujet de fit ; se furent retirés : se est en situation de COD, mais n'a pas vraiment de fonction, le verbe étant ici essentiellement pronominal ; me dit Bury : me est COI 2nd de dire ; lui est COI 2nd de répondre.
- sémantique : le pronom de 3ème personne est remplaçant total du groupe qu'il représente, et qui est généralement son antécédent ; le pronom est alors anaphorique ; quand il remplace et annonce un groupe situé derrière lui dans la suite immédiate de la phrase, on dit qu'il est cataphorique. Ici, le pronom l' remplace totalement le GN mon lit ; lui remplace Bury. Les pronoms de 1ère et 2ème personne ne sont pas de tels substituts : ils sont bien à la place d'un GN, mais sans être remplaçants ; un pronom de cette sorte s'appelle un nominal ; je (me - moi) correspond au locuteur, celui qui parle ; tu (te - toi) est l'allocutaire, celui à qui parle le locuteur, et c'est aussi le cas du vous de politesse, de même que le nous de majesté ou de modestie correspond au locuteur ; nous contient le locuteur et une ou plusieurs tierces personnes, vous contient plusieurs allocutaires ou bien l'allocutaire et des tierces personnes. Le pronom personnel et indéfini on, 3ème personne et toujours sujet, peut avoir diverses utilisations, et correspond toujours à un élément humain, normalement inconnu ou non précisé ; ici, il exprime des gens, le personnel de la prison, sans précision. Dans le langage courant, il remplace nous. Les éléments liés à la situation moi - ici - maintenant relèvent de l'énonciation en linguistique, ce sont des éléments dits déictiques.

Pronom possessif : le vôtre
 - morphologie : le pronom possessif est variable en genre, nombre, et personne. Il est ici masculin singulier en accord avec le nom qu'il remplace, et il est lié à une 2ème personne du pluriel de politesse, correspondant à l'allocutaire.
- distribution et syntaxe : le n'est pas à considérer comme un article, mais comme une partie intégrante du pronom ; ce pronom assume une fonction nominale, COD de manger.
- sémantique : ce pronom trouve son référent de façon anaphorique dans le GN mon dîner, mais il ne reprend que le sens de base du nom dîner ; il établit un lien à l'allocutaire vous, 2ème personne du pluriel de politesse : il s'agit donc du dîner de vous.

Pronom démonstratif : cela
  - morphologie : le pronom démonstratif est variable en genre et nombre, et connaît le neutre, qui est un 3ème genre et nombre en français, exclusivement dans les pronoms (particulièrement les indéfinis). Il s'agit ici d'un neutre, puisque le pronom ne renvoie pas à un GN, mais à une notion, une phrase entière.
- distribution et syntaxe : ce pronom assume une fonction nominale, sujet de est
- sémantique : ce pronom trouve son référent de façon anaphorique dans la phrase précédente (...vous trouverez bon qu'à mon tour je mange le vôtre), ou plutôt la notion exprimée, de façon totale, mais avec une précision particulière, le démonstratif servant à désigner avec précision.

quelle, nous l'avons vu, est plutôt à analyser comme pronom interrogatif. Il est variable en genre et nombre, féminin singulier ; il est attribut du sujet l'heure ; il correspond à un élément inconnu, sur lequel on pose la question, la réponse pouvant être exprimée sous forme de groupe nominal.

tout le monde peut être analysé comme pronom indéfini, bien que cette locution soit assez particulière. C'est une locution figée, et le nom monde ne fonctionne plus vraiment comme nom ; il correspond à un élément humain, avec la notion quantitative propre aux indéfinis, chez lesquels on trouve précisément des formes réservées aux choses, comme rien, quelque chose, tout, et des formes réservées aux humains, comme personne, nul, et précisément tout le monde. Ce pronom est ici complément du nom (GN) l'heure, ce qui est une fonction nominale.

3. Mots invariables, 2ème paragraphe

Lorsque est une conjonction de subordination. Invariable, elle ne remplace rien, elle n'assume aucune fonction. Elle introduit la subordonnée conjonctive Lorsque nos geôliers, ayant déposé tous les plats, se furent retirés, et en fait un complément circonstanciel de temps. Pour transformer une conjonctive en phrase simple, on se contente de supprimer la conjonction : Nos geôliers, ayant déposé tous les plats, se furent retirés (se retirèrent).

qu' (à mon tour) est aussi une conjonction de subordination. Invariable, elle ne remplace rien, n'assume aucune fonction, n'exprime aucun élément de sens. Elle introduit la subordonnée conjonctive qu'à mon tour je mange le vôtre, et en fait un COD de trouver (bon). Pour transformer une conjonctive en phrase simple, on se contente de supprimer la conjonction : A mon tour je mange(rai) le vôtre.

de (manger) est une préposition. C'est un mot invariable chargé d'introduire un mot ou un groupe (ici groupe infinitival) pour en faire un complément. Ici, la locution venir de fonctionne en fait comme semi-auxiliaire de conjugaison, pour exprimer un passé récent.

4. Mots invariables, 1er paragraphe

Tandis que j'arrangeais ma table pour me mettre à écrire, le geôlier revint me demander si je trouvais mon lit assez bon. Après l'avoir examiné, je répondis que les matelas en étaient mauvais et les couvertures malpropres. On me fit demander aussi quelle était l'heure de mon dîner. Je répondis : « L'heure de tout le monde... »

Tandis que est une conjonction de subordination. Même analyse que précédemment ; invariable, sans fonction, ne remplaçant rien, elle introduit une subordonnée conjonctive complément circonstanciel de temps. Transformation de la subordonnée en phrase par suppression de la conjonction : J'arrangeais ma table pour me mettre à écrire. Dans le cas d'une conjonctive circonstancielle, cette transformation peut amener à remplacer un subjonctif par l'indicatif, par exemple pour une conjonctive de concession.

pour est une préposition, mot invariable qui introduit un groupe infinitival (me mettre...) pour en faire un complément circonstanciel de but.

à est une préposition, mot invariable qui introduit l'infinitif complément écrire. L'analyse de ce complément comme COI de me mettre est assez discutable, car le verbe se mettre agit plutôt comme un semi-auxiliaire pour exprimer les modalités de l'action.

si (je trouvais...) est une conjonction de subordination interrogative. Ce mot a été longtemps, faussement, analysé comme adverbe, parce que les grammairiens d'autrefois ne savaient qu'en faire, faute de méthode rigoureuse, et on classait comme adverbes les mots invariables difficiles à analyser.
C'est un mot invariable, qui ne remplace rien, n'a lui-même aucune fonction (donc pas adverbe !), et n'exprime pas d'élément de sens en dehors de l'aspect d'interrogation indirecte (donc pas adverbe, puisque le rôle d'un adverbe repose principalement sur son sens, qui se confond avec sa fonction).
Ce mot est un pur subordonnant (il n'existe pas en dehors de la situation de subordination), qui introduit la subordonnée interrogative indirecte [si je trouvais mon lit assez bon], laquelle se trouve être en même temps une conjonctive, COD du verbe demander.
La transformation de la subordonnée en phrase se fait par simple suppression du subordonnant, ce qui est la marque indiscutable des conjonctives. On obtient ainsi la phrase interrogative directe : « Trouvez-vous votre lit assez bon ? ».

assez est un adverbe. Invariable, grammaticalement supprimable, il sert à modifier le sens de l'adjectif bon en lui apportant un degré, une intensité.

après est une préposition. Invariable, elle sert à introduire un groupe, ici un groupe infinitival (l'avoir examiné), pour en faire un complément, ici un complément circonstanciel de temps.

que est une conjonction de subordination. Invariable, elle n'assume aucune fonction, ne remplace rien, et n'exprime aucun élément de sens.
C'est un pur subordonnant, une marque de subordination, dont le seul rôle est d'introduire une subordonnée conjonctive dite pure (qu'on appelle aussi complétive), [que les matelas en étaient mauvais], et qui permet à cette subordonnée de prendre une fonction nominale, COD du verbe répondre. Nous sommes ici en discours indirect.
La transformation de la subordonnée en phrase se fait par simple suppression du subordonnant : Les matelas en sont mauvais (et les couvertures en sont malpropres, 2ème conjonctive, elliptique, qui devient une 2ème phrase). Cette transformation reconstitue le discours direct. Dans certains cas, un subjonctif (entraîné par le verbe ou la tournure de la principale) serait à remplacer par lindicatif, puisqu'il n'y a plus de contrainte modale.

et est une conjonction de coordination. C'est un mot invariable, qui relie deux éléments à égalité syntaxique avec une place fixe entre les deux. Ici, il ne faut pas se fier aux apparences, parce qu'il y a dans cette phrase une 2ème subordonnée conjonctive elliptique de la conjonction et du verbe (+ un pronom complément) ; cette conjonction relie deux subordonnées conjonctives toutes deux COD du même verbe répondre. Sémantiquement, elle permet simplement d'ajouter. D'autres coordonnants ont un rôle plus fort, dans les articulations logiques.

aussi est un adverbe. Invariable, grammaticalement supprimable, théoriquement mobile (mais la proposition est courte et se prête mal à un déplacement) ; son rôle est principalement sémantique, il sert ici à ajouter un élément au récit.

de est une préposition. Invariable, ne possédant pas de fonction propre, elle permet d'introduite un groupe (ici les GN de mon dîner / de tout le monde), pour en faire un complément, ici un complément du nom (l'heure, deux fois)