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I - LES FONCTIONS LIÉES AU VERBE

1 - LE SUJET

Il y a avantage à abandonner les définitions traditionnelles simplistes comme celle-ci :

« Le sujet est le mot ou le groupe de mots désignant l'être ou la chose qui fait l'action, la subit, ou se trouve dans un certain état ». (L’Étude pratique de la langue française, par A. Rougerie, Dunod 1969).

La notion d’action, opposée à celle d’état, est en effet très discutable, et ne peut recouvrir la totalité des verbes français non attributifs :

S'y ajoutait un procédé pratique mais insuffisant : la question Qui est-ce qui...? Quand le sujet est un pronom, cette question fait trouver le référent de ce pronom, qui n’est pas le sujet.

Par réduction à la phrase canonique, on a pu déterminer la fréquence de 5 types de phrases, par ordre décroissant :

Tous ces types de phrases comportent un sujet, et c'est un résultat syntaxiquement fondamental.

Le sujet est au départ un constituant de type nominal : un syntagme nominal, c'est-à-dire au minimum un nom précédé d’un déterminant. Il s'agit d'une fonction nominale.

Ce syntagme peut être remplacé, comme pour la plupart des fonctions nominales, par un nom propre, un pronom, un infinitif. Dans la phrase complexe, la subordonnée conjonctive pure peut être sujet, ainsi que la subordonnée relative sans antécédent (substantivée), voire une autre subordonnée, substantivée.

Le sujet régit l'accord du verbe, en nombre, en personne, et parfois en genre, avec l'auxiliaire être. C'est là un « pouvoir » tout à fait unique, que ne possède aucune autre fonction.

Certains pronoms possèdent des formes casuelles, héritées des déclinaisons. Au nominatif, les huit pronoms personnels dits de conjugaison, je / tu / il / elle / nous / vous / ils / elles (mais nous, vous, elle, elles sont aussi des formes compléments). Rajoutons on, pronom couramment appelé personnel et indéfini. Le pronom relatif qui, utilisé sans préposition, est un nominatif, une forme sujet. Il en est de même des pronoms interrogatifs composés qui est-ce qui...? et qu'est-ce qui...?

Le nom sujet est en principe toujours déterminé : le sujet est en fait un syntagme nominal, dont le nom est le noyau. Les exceptions se trouvent surtout en style archaïque (proverbes) ou lors d’une énumération générale :

La place canonique du sujet se situe juste devant le verbe, donc dans son contexte gauche, et sans pause : aucune ponctuation, donc aucune pause orale ne viendra séparer le sujet du verbe. Des situations non canoniques peuvent aboutir à une inversion du sujet.

Le sujet est une fonction essentielle ; on ne peut le retirer sous peine de rendre la phrase agrammaticale : Mon voisin plante un clou est correct ; *plante un clou ne l'est pas. Quant à l'impératif, il ne correspond pas à la construction de la phrase canonique.

Le sujet est même la fonction la plus essentielle, ce qui ressort des statistiques évoquées plus haut : toutes les phrases canoniques ne comportent pas de COD ou d'attribut, mais toutes comportent un sujet. C'est une caractéristique tout à fait fondamentale.

Le procédé (Qui est-ce qui...?) utilisé en grammaire traditionnelle est une manipulation qui fonctionne souvent correctement, quand on a pris la précaution de reconstituer la phrase canonique, ou au moins de remplacer un pronom sujet par son référent. Cette manipulation est une pronominalisation interrogative, à l'aide d'un pronom morphologiquement significatif. Une autre pronominalisation est possible : on peut remplacer un syntagme sujet par un pronom personnel préalablement reconnu comme sujet, en principe de la 3ème personne, comme il, elle, ils, elles :

On peut aussi mettre le sujet en évidence ( par une « dislocation », un « clivage », une « extraction ») en l'encadrant par l'introducteur : C'est... qui, où l'on utilise un pronom relatif morphologiquement au « nominatif » :

Autre transformation, décisive, qui n'est possible que dans certains cas : le sujet d'un verbe actif transitif direct devient complément d'agent quand on met le verbe à la voix passive :

Une phrase est une unité de communication, ou si on veut un « message », adressé à autrui, voire à soi-même. Chaque phrase comporte un thème et un propos ; le thème, c'est le point de départ de l'énoncé, ce ou celui dont on parle. Le propos, c'est ce qu'on dit du thème.

Le thème n'est pas forcément le sujet :

Dans cette phrase, grâce à la mise en relief, le thème est le COD, sur lequel on veut attirer l’attention de l’allocutaire (celui à qui on s’adresse).

Dans la phrase ramenée à sa forme canonique, dans la phrase simple, on reconnaîtra un sujet (le thème), et un prédicat (le propos) ; et le verbe est le noyau du prédicat. Le sujet sera ce (celui) dont on parle, et le prédicat sera ce qu’on dit du sujet. On peut poser les questions : « De quoi parle-t-on ? » et « Qu’en dit-on ? ». Cette relation de prédication dans la phrase, cette solidarité entre deux éléments de la phrase, est unique. Elle explique le caractère hautement essentiel du sujet.

Le sujet s'actualise alors dans un verbe, c'est-à-dire qu'il prend une réalité, il entre dans un contexte grâce à lui. Le verbe exprime un procès, c'est-à-dire quelque chose qui se déroule dans le temps, et le sujet est le siège de ce procès.

Le sujet ne possède aucune autonomie sémantique, pas plus que syntaxique : sans verbe, il ne peut être reconnu comme sujet. Au contraire, c'est la fonction qui entretient la plus grande liaison sémantique avec le verbe : la sélection sémantique, du sujet par son verbe, est le fondement de la phrase. Le verbe manger, par exemple, hors emploi métaphorique, ne peut avoir qu’un sujet vivant, animal ; le verbe dire ne peut avoir en principe qu’un sujet humain, etc.

PRINCIPAUX PROBLÈMES CONCERNANT LE SUJET

Il se présente plusieurs situations non canoniques :

— L'infinitif de narration remplace un passé simple :

— Des phrases courtes et exclamatives où le sujet de 1ère personne n’est pas toujours exprimé :

Un infinitif possédant un sujet propre, l'ensemble étant régi par un verbe principal, cela s'analyse généralement comme une subordonnée infinitive, en principe COD d’un verbe de perception (pour les verbes d’ordre, interdiction, autorisation, c’est discutable) :

De la même manière, un participe peut posséder un sujet propre et donner naissance à une subordonnée participiale circonstancielle, détachée par la ponctuation :

[Le niveau du fleuve montant], il fallut évacuer la population. (= parce que le niveau du fleuve montait)

On a coutume d'appeler impersonnel tout verbe gouverné, en apparence, par un pronom qui n'est pas un représentant, c'est-à-dire le pronom il, parfois ce ou ça. Celui-ci n'est qu'un indicateur de la 3ème personne du singulier : n'étant pas représentant, le pronom ne peut être de la 1ère ni de la 2ème personne, ni être au féminin ou au pluriel, il est donc neutre. Un verbe, en français, ne peut guère se passer d'un mot en place de sujet, et ce pronom, absent en latin et en ancien français, a un rôle purement formel.

Diverses situations se présentent, diversement analysées par les spécialistes :

Nous ne retiendrons que la plus indiscutable On analysera le pronom neutre comme sujet grammatical (ou apparent), car il se contente de régir l'accord du verbe ; on trouvera derrière le verbe le véritable sujet, le sujet logique (ou réel), ce que montre la transformation :