I - LES FONCTIONS LIÉES AU VERBE
4 - LES COMPLÉMENTS DE VERBE
« Au sens traditionnel du terme, un complément du verbe est un syntagme de type nominal ou prépositionnel qui fait partie du groupe verbal » (Grammaire méthodique du français, p. 217).
Comme nous le verrons, les exigences distributionnelles et syntaxiques définissent les compléments de verbe. Toutefois, selon le point de vue adopté, on peut scinder ou non cet ensemble. Contrairement à l’ouvrage précité, nous choisissons de ne pas considérer comme compléments d’objet les syntagmes suivants :
Nous allons
à
Paris.
Ce costume coûte
trois mille
francs.
Nous distinguerons les compléments d’objet d’une part, conformément à la tradition, et les compléments de verbe adverbialisables d’autre part (page suivante).
Pour analyser la construction d'un verbe et sa capacité à être accompagné de fonctions essentielles, on peut avoir recours à la notion de valence (selon L. Tesnière). La valence d’un verbe (mais aussi d’un nom ou d’un adjectif), c’est son aptitude à imposer une certaine configuration syntaxique. Ainsi, un verbe est nécessairement accompagné d’un sujet (valence simple), et souvent d’un ou deux compléments de verbe (valence double ou triple) ; ces éléments sont appelés « actants ».
La notion de valence n’est pas toujours cohérente dans la littérature linguistique, et il importe, pour éviter des confusions (« actant » ne signifie pas « agent »), de l’utiliser comme une notion purement syntaxique (voir définition et précautions d'emploi dans la Grammaire méthodique du français, p. 123-124 et 215). On considérera que tous les compléments de verbe participent à la valence verbale. A titre d’exemple, L. Tesnière, dans la phrase « Alfred change de veste », analyse de veste comme circonstant (Éléments de syntaxe structurale, Klincksieck, 1966, p. 128). Nous ne partageons pas cette analyse.
A - LES COMPLÉMENTS D'OBJET
Comme pour le sujet, il faut abandonner les définitions traditionnelles :
Un nom est complément d'objet quand il désigne la personne ou la chose sur qui se fait l'action exprimée par le verbe. (Grammaire et exercices de Français, par J. Dubois et G. Jouannon, Larousse 1956).
Plus critiquable encore est le questionnement Quoi ? générateur d'erreurs dans l'analyse, puisqu'il peut aussi bien faire trouver un sujet inversé ou un attribut.
Dans le cadre de la phrase canonique, la construction S + V + COD est la
plus fréquente en français.
1) Classe grammaticale :
Le complément d'objet est, comme le sujet, une fonction dite nominale, non adverbiale. Cette fonction pourra donc être assumée par un syntagme nominal, un nom propre, un pronom, un infinitif et certaines subordonnées :
Nous avons
passé
de bonnes vacances :
syntagme nominal COD
Le fils a succédé
à son
père :syntagme nominal
COI
Il donne de l'argent
aux pauvres :
syntagme nominal COI
2nd
J'ai rencontré
Pierre :
nom propre COD
Je
les
ai aperçus / Je
m'en
souviens / (mon sujet)
J'y
arrive : pronoms personnels COD ou
COI
Il aime
lire
/ Il aime
à lire
: infinitif COD ou COI
J'aime
qui m'aime :
subordonnée relative substantivée COD
Il prétend
que vous vous trompez :
subordonnée conjonctive (complétive) COD
Nous devons veiller
à ce que tout soit
prêt :subordonnée
conjonctive COI
Je me demande
si tout sera prêt :
subordonnée interrogative COD
J'admirais
comme il avait su rester
jeune : subordonnée
exclamative COD
Nous entendions
les rats courir dans le
grenier : subordonnée
infinitive COD
2) Aspects morphologiques :
Le seul accord qui se présente est celui du participe passé avec le COD placé devant le verbe, quand celui-ci comporte l'auxiliaire avoir :
Je les ai aperçus .
Aucun accord n'a lieu avec une construction indirecte :
La femme à qui il a
succédé
. / Ils se sont
succédé
.
La femme à qui il a
donné
de l'argent.
Quand le complément d'objet est un pronom personnel, relatif, voire interrogatif, il possède une forme régime direct ou indirect (régime ne veut pas dire automatiquement complément ; l'attribut ou le sujet logique sont régimes, vu leur position).
— me / te / le, la,
les, pronoms personnels à la
forme régime direct (ou indirect pour
me
et
te
) ;
moi / toi / lui, leur,
eux, pronoms personnels à la
forme régime indirect (forme forte, autrefois tonique, qui sert aussi
d'insistance pour d'autres fonctions).
— que,
quoi, pronoms relatifs régime
direct et indirect ;
dont
peut être COI.
— ce que, ce à
quoi, pronoms interrogatifs
indirects de forme régime direct et indirect, outre un aspect sémantique
« chose ».
3) Aspects distributionnels :
Le complément d'objet, quand c'est un nom, est toujours déterminé : c'est un trait qui le distingue d'ailleurs de l'attribut.
Le complément est donc en fait un syntagme, dont le nom est le noyau. Comme pour le sujet, dans un style archaïsant ou une énumération, on peut trouver un nom seul :
Pierre qui roule n'amasse pas
mousse
.
Il amassait
or, argent et
pierreries.
La place canonique du complément d'objet se situe juste derrière le verbe, sans pause.
Un pronom personnel, relatif ou interrogatif se trouvera à une place différente : le pronom personnel entre le sujet et le verbe ; le pronom relatif ou interrogatif en tête de subordonnée ou de phrase.
L'inversion n'est pas possible pour le COD, en dehors de la tournure interrogative bien sûr :
Le lion a mangé le dompteur / *Le dompteur a mangé le lion. (?!)
La construction indirecte rend éventuellement le COI (surtout 2nd ) déplaçable, détachable, dans certaines conditions :
A sa maîtresse, il a envoyé un bouquet de roses. A son épouse, il a envoyé un bouquet de chardons. (contexte constrastif)
4) Les relations syntaxiques :
Le complément d'objet fait partie des fonctions essentielles. C'est le premier des compléments du verbe, et il appartient au syntagme verbal. Si on le supprime, dans un certain nombre de cas, la phrase devient agrammaticale :
*Nous avons rencontré. / *Le fils a succédé.
Dans d'autres cas, il est possible de supprimer le complément d'objet, mais le sens de la phrase change : parfois complètement, et parfois en perdant simplement le contexte, la précision d'un récit :
Mon frère a changé son pot d'échappement.
(remplacé) // Mon frère a changé. (caractère)
L'enfant mange
un gâteau au
chocolat. (récit précis) /
L'enfant mange. (se nourrit)
Rappelons qu'un même verbe peut avoir plusieurs constructions différentes, et que son sens se modifie à chaque fois :
Le clou tient.
L'enfant tient la main de sa mère.
L'enfant tient à son jouet.
Il tient de son père.
Il tient cette montre de son père.
5) Aspects transformationnels :
Seul le COD prête à transformation significative : une phrase comportant un verbe transitif direct avec son COD peut se mettre à la voix passive ; le COD devient sujet, et le sujet devient complément d'agent :
La tempête a déraciné un arbre. / Un arbre a été déraciné par la tempête.
Rappelons que quelques verbes transitifs indirects connaissent aussi la voix passive : ce sont des verbes qui ont été autrefois transitifs directs, au moins jusqu'au XVIIème siècle :
Vous serez obéi de tous.
Il existe d'autres pronominalisations que celle qui utilise la question quoi ? On peut remplacer un complément d'objet par un pronom personnel reconnu comme assumant cette fonction ; on peut aussi l'insérer dans le présentatif c'est... que :
J'ai envoyé ma déclaration au percepteur. /
Je la lui ai envoyée. / C'est ma déclaration que j'ai envoyée au
percepteur. / C'est au percepteur que j'ai envoyé ma déclaration.
J'ai pensé à mes amis. / J'ai pensé à eux. / C'est à eux que j'ai
pensé.
Mais attention à ne pas confondre avec l'attribut :
Il est resté modeste. / Il l'est resté.
D'autre part, des syntagmes assumant d'autres fonctions peuvent être introduits par le même présentatif c'est... que :
C'est la nuit que le boulanger travaille. (la nuit, c. circ. de temps).
6) Description sémantique :
Un complément d'objet, sans verbe, n'est plus un complément d'objet ; il ne possède aucune autonomie sémantique. Son sémantisme, en tant que CO, dépend du verbe ; le CO est le complément le plus directement sélectionné par le sémantisme du verbe, où la préposition éventuelle joue un rôle non négligeable. Non seulement le verbe, mais l'ensemble [sujet + verbe]. Ainsi, le verbe manger , sauf sens métaphorique, exigera un COD concret, et... comestible. Si le sujet est le loup, le COD se restreindra à un aliment carné.
On pourrait tenter d’opérer un classement sémantique entre les CO, mais cela reviendrait à un classement lexical des verbes transitifs. Les liaisons entre le sémantisme des verbes et leur construction est bien plus riche d’enseignement.
CONSTRUCTIONS :
Les verbes construisent de plusieurs façons différentes leurs compléments d'objet. Rappelons au préalable quelques principes de base :
Un verbe possédant un ou plusieurs compléments d'objet est appelé transitif ; intransitif s'il n'en possède aucun (valence simple, le sujet étant le seul « actant »). Il sera transitif direct ou indirect selon qu'il exige ou non une préposition (un seul type de CO : valence double) ; doublement transitif quand il se construit avec deux compléments d'objet de type différent (valence triple). Il existe quelques cas de verbes triplement transitifs (valence quadruple).
La coordination de 2 compléments d'objet de même type ne rend pas le verbe doublement transitif !
Un verbe peut adopter plusieurs constructions différentes selon les phrases, et change de sens la plupart du temps en changeant de construction :
manquer sa cible / manquer le train / manquer à ses amis / manquer à ses devoirs / manquer de nourriture / manquer de culture / manquer de tomber / manquer de respect à un supérieur…
1) Le complément d'objet direct (COD) :
Il se construit sans préposition :
L'agent Longtarin remplissaitun procès-verbal.
Cette construction permet la transformation passive :
Un procès verbal était rempli par l'agent Longtarin.
Certains verbes transitifs directs sont inaptes à la passivation :
Votre réponse comporte quelques erreurs. / *Quelques erreurs sont comportées par votre réponse.
Le verbe avoir est inapte aussi à la passivation, mais peut trouver un équivalent passif dans le verbe être :
Il a une Cadillac. / Cette Cadillac est à lui.
La pronominalisation (3ème pers. masc. sing.) s’effectue à l’aide du pronom le .
2) Le complément d'objet indirect (COI) :
Il se construit avec une préposition (à, de, en, sur, avec, etc.) qui est « contrôlée » par le verbe (on se méfie de quelqu’un, jamais à / avec / en … quelqu’un) :
Gaston ne se souciait
guèrede cette
amende.
Il croyaitau
destin.
Il croyaiten son
avenir.
Il comptaitsur la chance.
Il
attendaitaprès Mademoiselle
Jeanne.
La tournure passive est en principe impossible quand il n'y a pas de COD (rares exceptions) :
*Cette amende n’est guère souciée par Gaston.
La pronominalisation (3ème pers. masc. sing.) s’effectue à l’aide des pronoms lui, en, y.
Remarque : La construction directe n’autorise pas l’inversion sujet / COD, et l’effet d’insistance ne peut s’effectuer que par une dislocation (détachement, reprise par un pronom personnel), ou par la passivation. La construction indirecte autorise éventuellement la mise en relief du COI par déplacement, détachement en tête de phrase (le risque de confusion sujet / COI étant nul), ce qui compense l’impossibilité d’une passivation.
3) Le complément d'objet interne :
Cette fonction n’est pas étudiée dans le secondaire, et ne peut être placée à égalité avec les précédentes.
On la trouve dans un ensemble, peu ouvert lexicalement, de locutions presque toutes figées, où le complément, de construction le plus souvent directe, ne fait apparemment que reproduire et compléter le procès contenu dans le sémantisme du verbe ; d’un verbe habituellement intransitif ; si l’on se réfère au « schéma actanciel » du verbe, l’objet ne désigne pas un « actant », il ne fait pas partie de la valence verbale :
Vivre
sa vie
/
pleurertoutes les larmes de son
corps
/
suersang et eau
/
sentirla rose
/ aller
son petit bonhomme de chemin
Deux pigeons s’aimaient
d’amour
tendre. (La Fontaine)
Le syntagme n’est pas pronominalisable, et la construction passive est impossible :
*Sa vie a été vécue par lui...
*La rose est sentie par ce parfum...
On relèvera dans ces locutions une fréquence remarquable d’adjectifs possessifs renvoyant au sujet du verbe. Une analyse sémantique montre qu’il ne s’agit nullement d’une simple redondance, d’une tautologie, mais d’une spécification du procès, lequel concerne le sujet du verbe ; spécification qui prend une tournure nominale, alors que d’autres spécifications prendraient une tournure adverbiale. Cette correspondance sémantique rapproche l’objet interne des compléments de verbe adverbiaux (voir la Grammaire Méthodique du français, p. 220-221).
4) La construction avec double objet :
Certains verbes ont systématiquement, d’autres occasionnellement une construction doublement transitive. Cette construction répond à certaines exigences à la fois syntaxiques et sémantiques :
Syntaxiquement, les deux compléments d'objet sont nécessairement
de type différent, sur un plan ou un autre. Le plus souvent l’un est
direct (on peut l’appeler
COD
1er
) et l’autre indirect (dit
COI
2nd
ou
COS). Ils se présentent dans
cette ordre dans la phrase canonique, ce qui autorise la précision
1
er
ou
2
nd. En cas de construction
doublement indirecte, les prépositions sont nécessairement différentes
(parler
de
quelque chose
à
/
avec
quelqu’un
). Une construction doublement directe peut exister lorsque le
2ème
complément est une complétive
(convaincre quelqu’un
que…), mais la construction est
en fait implicitement indirecte
(que = de ce
que), ce qui apparaît quand on
revient à une tournure nominale
(convaincre quelqu’un
de
quelque
chose).
Sémantiquement, il s'agit de verbes de relation, ce qui est
logique, et même de
transfert
: « La plupart de ces verbes dénotent une opération concrète ou
figurée de transfert entre deux de leurs
actants » (Grammaire
méthodique du français, p. 225).
Les verbes de
transfert non verbal
constituent un premier grand ensemble (les
modèles en sont
donner
ou
ôter quelque chose à
quelqu’un) ; les verbes
de
transfert verbal
un deuxième
(dire quelque chose à
quelqu’un) ; on trouve aussi
des actes de parole, des verbes d’union ou de séparation, et quelques
autres cas plus dispersés. La plupart du temps, deux des trois actants
sont de type sémantique semblable (ex. : sujet et COI
2nd
humains).
La construction la plus fréquente (plus des trois quarts des cas) est celle de donner et dire , avec un COD 1er et un COI 2nd (souvent humain) introduit par à . C’est celle qui sert de référence dans la création stylistique. Une analyse fine des prépositions fera apparaître que à exprime un acte orienté versl’élément COI 2nd , une sorte de destination mentale ; de signifie surtout « au sujet de », bien plus souvent que « provenant de » ; avec (+ SN humain) s’utilise dans les échanges réciproques, ainsi que pour et contre (+ SN « chose »), etc. On consultera avec profit sur ce thème Les prépositions abstraites en français, de P. Cadiot, Colin, 1997.
Dans une construction doublement transitive, la passivation laisse
subsister le COI
2nd
:
Cette bague avait été confiée par ma mère à un bijoutier.
Remarque : Le « complément d'attribution »
La tradition grammaticale faisait état d’un « complément d’attribution » dont la dénomination et la définition restaient fortement inspirées du latin :
« On peut donc définir le complément d'attribution comme le complément du verbe pouvant être remplacé par un pronom conjoint au datif. Beaucoup de verbes appelant un complément d’attribution sont des verbes à double transitivité » (Code du français courant, par H. Bonnard, Magnard, 1981, p. 256-257).
Ce complément était autrefois analysé comme circonstanciel à cause de la proximité du datif et de l’ablatif. C’était le cas également du complément d’agent. La tradition n’avait pas suffisamment intégré les différences de fonctionnement des langues latine et française. Ainsi, le complément d’agent, en latin, n’est pas toujours associé à un verbe passif.
Le complément d’attribution, selon H. Bonnard, peut être en même temps un COI simple, ou encore un COI 2nd , voire un complément de verbe non reconnu comme CO, tel cette sorte de complément de relation exprimé par un pronom datif, appelé datif épistémique par Nicolas Ruwet :
Je lui crois de grandes qualités.
(ne s’agit-il pas de l’ellipse d’une complétive : « Je crois qu’il a… » ? Voire d’une infinitive : « Je crois [lui avoir…] » ?)
L’avantage de cette tradition qui regroupe une éventail sémantique de compléments est de classer certains syntagmes pronominaux difficiles à analyser, tel encore ce datif éthique :
Fermez- moicette porte !
L’inconvénient, c’est de définir une fonction sur des critères sémantiques et un élément formel, et de ne pas tenir compte des autres critères.. On peut se contenter de reconnaître le complément d’attribution comme un « sous-ensemble » du complément d’objet indirect. L’idée qu’un syntagme puisse assumer deux fonctions à la fois est assez gênante. Cette position n’est pas non plus très pédagogique.
DÉVELOPPEMENT : ATTRIBUT ET COD
L'attribut du sujet et le COD possèdent de nombreux points communs. Le corps enseignant est quotidiennement confronté à des erreurs qui témoignent d'une grande confusion en ce domaine (le prétendu « COD du verbe être » !).
1) Points communs entre l'attribut et le COD
Distribution : l'attribut
et le COD, dans la phrase canonique, se placent juste derrière le verbe,
sans pause.
Syntaxe : les deux
fonctions sont essentielles ; leurs éléments appartiennent au
syntagme verbal, et permettent de constituer avec l'infinitif du verbe un
groupe soudé, qui se passe de sujet :
Avoir de l'argent, c'est intéressant.
(avoir
+ COD)
Être riche, c'est intéressant.
(être
+ attribut)
Transformation : la
pronominalisation peut donner des résultats semblables, et utilise un
pronom personnel, relatif ou interrogatif de forme régime
direct :
Il fait son
devoir (son devoir
est COD) > Il
le
fait / le devoir
qu'
il fait /
Que
fait-il ?
Il devient président
(président
est attribut du sujet) > Il
le
devient / le président
qu'
il devient /
Que
devient-il ?
Bref, ces deux constructions simples et directes semblent couler de source, et correspondre à la phrase typique du Français courant, puisqu'à elles deux elles occupent statistiquement une place considérable dans les tournures utilisées par les « locuteurs natifs » que nous sommes.
2) Différences entre l'attribut et le COD
Aspects catégoriels
:
les catégories syntaxiques ne se recouvrent
pas ; le complément d'objet est une fonction strictement nominale,
alors que l'attribut est au départ une fonction adjectivale. En effet, le
nom ou ses équivalents ne peuvent être attributs que s'ils possèdent dans
la phrase une valeur adjectivale suffisante (de caractérisation, qui est
d'ordre sémantique, voir plus loin).
Morphologie :
seul l'attribut permet un accord en genre et
nombre avec le sujet.
Syntaxe :
l'attribut supporte beaucoup moins
d'ellipses que le COD, voire aucune. Évidemment, on peut toujours imaginer
un dialogue comme celui-ci :
« Alors, quoi de neuf ?
— Je deviens, mon cher, je deviens. Et vous ?
— Moi, je demeure. »
Cette conversation pourrait être imaginée avant la guerre entre Jean-Paul Sartre et François Mauriac… L’effet stylistique est identique à celui du célèbre Cogito, ergo sum de Descartes.
La construction avec attribut autorise une véritable ellipse, mais c’est celle… du verbe, dans des phrases averbales non canoniques mais courantes en langage parlé. Ainsi :
Mon chef de service ? Un imbécile ! (= mon chef de service est un imbécile)
On ne peut faire l'ellipse d'un verbe transitif direct ou indirect :
Ma sœur a acheté une maison. / *Ma
sœur ? Une maison !...
Mon beau-frère participe à un rallye. / *Mon beau-frère ? Un
rallye !...
Transformations :
la construction attributive ne permet pas la
passivation qu’on obtient avec les verbes transitifs directs, l’attribut
du sujet ne devient pas le sujet d’un verbe passif.
Les pronominalisations ne se recoupent pas entièrement. Les exemples que nous avons utilisés plus haut représentent en fait le seul cas de similitude : celui du masculin singulier. Tout change si on utilise le féminin ou le pluriel :
J'ai rencontré les aviatrices
(COD) > Je
les
ai rencontrées. /
Qui
avez-vous rencontré ?
Elles sont devenues aviatrices (attribut du sujet) : Elles
le
sont devenues. /
Que
sont-elles devenues ?
Le pronom personnel substitut d’un attribut est une forme neutre, qui équivaut morphologiquement au masculin singulier (le neutre morphologique n'existe pas en français). De même, le pronom interrogatif, variable sur le plan sémantique, n'adopte pas pour l'attribut la forme qui correspond à une personne, mais celle qui correspond aux « choses ». Le résultat serait exactement le même si l'attribut était un adjectif :
Il est devenu fou > Il l' est devenu.
Sémantique
:
l'attribut, même nominal, sert à
caractériser le sujet, au point que si l'on utilise le même terme, il
possède encore cette valeur :
Mon père, c'est
mon
père.
Ton frère sera toujours
ton
frère.
Dans ces phrases, les mots père et frère n'ont pas deux fois la même valeur sémantique.
La première phrase signifie : « La personne dont nous parlons, qui est mon géniteur, est pour moi quelqu'un avec qui les liens affectifs sont importants » ; sous-entendu par exemple : « Je me refuse à le critiquer pour cette raison, et je prends sa défense ».
La deuxième phrase peut signifier : « Ton frère ne sera jamais autre chose que ce qu'il est : un instable, ou un génie, ou quelqu'un à ta semblance, aussi extravagant que toi, etc. ».
Enfin, seul un nombre restreint de verbes se construisent avec un nom attribut, ceux dont la valeur sémantique les rapproche des verbes d'état.
3) Les cas litigieux
Il est des verbes qui possèdent naturellement un aspect sémantique qui pourrait les rendre attributifs, synonymes par exemple de devenir . Où est la limite ?
Il
ressemble
à son
frère.
Il ressemble
à un
ours.
Son frère n'est pas une caractérisation de l'individu dont nous parlons, alors que un ours en est une, métaphorique : on parle bien d'une personne, pas de deux, et pas d'un animal particulier ; on décrit l'aspect (lourdaud, hirsute) de la personne, à l'aide d'une comparaison.
Aussi délicate est pour le moins l'analyse de phrases comme celles-ci :
Cette nouvelle
loi constitue
un
progrès.
Une vingtaine de grenadiers constituaient
l'arrière-garde de
l'armée.
Un progrès et l'arrière-garde de l'arméesont consubstantiels aux sujets. Pourtant, si un progrès apporte bien une caractérisation sémantique, c'est beaucoup moins évident pour l'arrière-garde de l'armée. Une transformation simple va nous permettre de décider. Puisque nous nous posons la question « Attribut du sujet ou COD ? », essayons donc la transformation passive, qui est un critère décisif pour le COD :
*Un progrès est constitué par cette loi / de cette loi :
Cette phrase ne paraît pas correcte, il est difficile de la comprendre ; avec la préposition de , il saute aux yeux qu'elle est incorrecte. Un progrès est donc attribut du sujet.
L'arrière-garde de l'armée était constituée d'une vingtaine de grenadiers :
Cette phrase est parfaitement correcte, et l'arrière-garde de l'arméeest COD du verbe constituer .