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I - LES FONCTIONS LIÉES AU VERBE

4 - LES COMPLÉMENTS DE VERBE

B - LES COMPLÉMENTS DE VERBE ADVERBIAUX

Il nous semble nécessaire de dire ici quelques mots de la tradition, tant son imprégnation reste encore forte : dans l’expression venir à Paris (voir l’exemple un peu plus bas), un étudiant fraîchement débarqué à l’Université analysera spontanément à Paris comme « complément circonstanciel de lieu du verbe venir », quand la Grammaire méthodique du français en fait un COI. Des notions imprécises acquises dans l’enseignement primaire, mal corrigées dans le secondaire, ont la vie dure. Quelques rappels donc sur l'héritage grammatical et les compléments circonstanciels, dont nous aurons à exclure les compléments ici étudiés.

Voici comment la Grammaire française simple et complète de P. Crouzet, G. Berthet et M. Galliot, Privat-Didier, 1909, définissait et étendait la notion de complément circonstanciel (p. 172-173) :

« Les compléments circonstanciels expriment toutes les circonstances de temps, lieu, manière,  cause, origine, but, tendance (direction, destination, attribution), distance, mesure, différence, accompagnement, partie, prix ; poids, instrument, agent, etc., dans lesquelles se trouve un objet ou se passe une action. »

« Extension du complément circonstanciel au nom et à l'adjectif : Le tableau de la page précédente ne contient que des compléments circonstanciels de verbe, mais en réalité le nom et l’adjectif ont certains compléments qui peuvent aussi être considérés comme des compléments circonstanciels. »

Plus récemment, des auteurs, de la même façon, plaçaient encore sans hésitation les compléments suivants dans les circonstanciels :

(exemples pris dans Grammaire et exercices de français, de la 6èmeà la 3ème, par J. Dubois et G. Jouannon, Larousse, 1956, p. 60 à 62)

La Grammaire Larousse du français contemporain de J. Cl. Chevalier et al., Larousse, 1964, marque une évolution en étudiant les compléments de mesure, de poids et de prix à la suite des compléments d’objet, précisant (p. 180) :

« Du point de vue du sens, ces compléments sont fréquemment interprétés comme des circonstanciels. »

Ce très structuraliste ouvrage ne pousse pourtant pas la modernité jusqu’à analyser certains compléments de lieu ou de temps comme des COI (p. 76) :

« Cette analyse n’est pas acceptable d’après les critères que nous avons fixés ; mais elle souligne bien que certains compléments circonstanciels disposent d’une grande liberté de mouvement, d’autres non. »

La Grammaire méthodique du français (1994), nous l’avons dit, n'hésite pas à franchir un pas important, et à baptiser ces compléments du nom de «  compléments d'objet ». C'est à notre sens aller un peu loin.

On pourra les appeler compléments essentiels de lieu, temps, mesure… ; ou bien abréger en CVD, CVI (compléments de verbe directs ou indirects, de lieu, etc.). Bien que l'aspect sémantique soit fort, ils ne sont pas circonstanciels, mais ne correspondent pas à tous les critères des compléments d’objet.

.Il s'agit d'une fonction adverbiale. Ces compléments se présentent sous forme de syntagmes nominaux (ou éléments nominalisés), ou d'adverbes, voire de « pronoms adverbiaux » :

En et y, classés comme « pronoms adverbiaux » dans Le bon usage, sont plus souvent aujourd'hui classés comme pronoms personnels. Les deux points de vue se défendent.

On trouvera éventuellement, mais difficilement, d'autres pronoms ; jamais un infinitif ; exceptionnellement une subordonnée (substantivée), pour le temps ou la mesure :

Il est évident que le lieu s'exprimera aussi souvent à l'aide d'un nom propre géographique (voir les exemples précédents).

Aucun accord ne peut se manifester, y compris l'accord du participe passé, même quand la construction du complément est directe :

Ces compléments se situent, comme les compléments d'objet, derrière le verbe, sans pause, sans possibilité de détachement ; ils peuvent s'ajouter à des compléments d'objet, et s'intercaler entre eux ; la construction directe est fréquente, mais le lieu demande souvent une construction indirecte :

Dans une construction indirecte, particulièrement celle d’un complément de sens locatif, il semblerait abusif de prétendre que, comme pour les COI, le verbe puisse « commander » une préposition particulière. Si obéir, succéder, etc., sont systématiquement suivis de la préposition à , on peut constater par exemple que le verbe passer est suivi, selon le sens, des diverses prépositions locatives : le train passera autant à Amiens que par Amiens, dans la campagne, en pleine campagne, à travers la lande déserte, à l’extérieur de la ville, au-delà des limites de la province, etc. Les COI utilisent principalement (mais sans exclusive) les deux prépositions dites « incolores », à et de ; les CVI utilisent la palette des prépositions circonstancielles.

Ces compléments sont aussi essentiels que les compléments d'objet, avec la même réserve : on peut parfois supprimer un CVD ou CVI (ex. : le prix), comme certains COD ou COI, quand ils présentent un intérêt tout relatif. Il est évident que le message ne sera pas le même dans la phrase suivante et dans celle qui se trouve un peu plus haut :

La notion de valence verbale, prise, comme nous l’avons indiqué, dans un sens purement syntaxique, s’applique sans difficulté à ces compléments de verbe adverbiaux. Elle ne permet pourtant pas de les distinguer des compléments d’objet.

Les syntagmes nominaux CVD / CVI sont adverbialisables. Le questionnement qui permet de les reconnaître est également adverbial : où ? / combien ? / combien de temps ?

La transformation passive n’entraîne aucune modification des compléments de verbe adverbiaux ; le CVD, à la différence du COD, ne devient pas sujet d'un verbe passif ; le CVD ou CVI subsiste tel quel dans la passivation :

On reconnaîtra principalement des compléments essentiels de lieu, de temps, et la notion de mesure unira avantageusement tout ce qui est poids, prix, longueur, etc. Cette courte liste n'est pas forcément exhaustive.

A première vue, l'argument sémantique ne permet pas de différencier ces compléments de verbe des circonstanciels, ce qui explique l’analyse traditionnelle : le lieu et le temps en particulier sont intuitivement perçus comme circonstanciels.

Mais pourquoi faudrait-il qu'un nom de lieu soit systématiquement complément circonstanciel de lieu : il peut être aussi bien sujet d'un verbe ! (ex : La France est belle)

La solution doit être cherchée dans la liaison sémantique extrêmement forte que le complément entretient avec le verbe, bien plus forte même que pour un complément d'objet, puisqu'elle est exclusive, et se rapproche d'ailleurs singulièrement de celle de certains compléments d'objet interne (ex : ses mains sentent le poisson). Il sera donc ici aussi question d'une sélection sémantique, tout à fait impérative, du complément par son verbe : un verbe de mouvement comme aller, venir, passer... exige d'être suivi par un nom de lieu (SN ou NP) ; mesurer, peser, coûter..., par une notation chiffrée, de même que durer par ladite durée chiffrée, ou estimée.

Cette liaison sémantique étroite avec le verbe se manifeste syntaxiquement par la construction directe si fréquente ; les verbes de mouvement, eux, ont besoin d'une préposition qui indique le type de mouvement : aller à (latin ad = « vers ») / venir de (latin de : origine) / passer par, à travers, etc.

Dans la construction des verbes transitifs, on peut éventuellement distinguer les « compléments de verbe » que sont par exemple le COD 1er et le COI 2nd, et les « compléments du groupe verbal », tel le complément de « prix » du verbe revendre dans l’exemple cité plus haut.

Développement : des « passerelles » avec les compléments d'objet ?

Des arguments catégoriels, morphologiques, transformationnels, sémantiques s'opposent à une assimilation pure et simple de ces compléments aux compléments d'objet. Comparons :

Quand le CVD est bien perçu comme tel, il n'est pas assimilable à un COD.

Pourtant, en l'absence d'un COD authentique, le CVD peut se transformer en COD, dans certaines conditions. Cela se manifestera par une hésitation dans le questionnement (combien ? / quoi ?), par une pronominalisation par pronom personnel, par un accord du participe passé :

La différence est-elle si grande entre Il habite Paris (où ?) et Il habite un meublé (quoi ?) ?

Doit-on écrire Les cent francs que cet appareil m'a coûté oum'a coûtés ?

Le participe s’accorde si le verbe est employé au sens figuré, comme l’indique la Grammaire Larousse du français contemporain, p. 180 :

Nous remarquerons que le CVD transformé en COD gagne généralement un article défini, ou en tout cas un aspect défini.

Bref, ces exemples, et bien d'autres, montrent que les limites ne sont pas nettes entre ces compléments de verbe et les compléments d'objet. Mais il faut remarquer aussi qu'elles ne le sont pas davantage avec les compléments circonstanciels, et on peut parfois se demander longuement et vainement si tel complément est complément de verbe ou de phrase, s'il est essentiel ou supprimable : les deux exemples suivants sont-ils équivalents ?