I - LES FONCTIONS LIÉES AU VERBE
3 - L'ATTRIBUT
Dans la phrase canonique, la construction avec attribut vient statistiquement en deuxième position, après la construction avec COD. Les points communs ne manquent d’ailleurs pas (distribution, certaines transformations).
1) Classe grammaticale :
Il s'agit d'une fonction adjectivale. Il est pourtant nécessaire de distinguer deux situations différentes :
a)Un adjectif ou un équivalent :
L'adjectif
qualificatif : l'attribut est bien au départ une fonction
adjectivale. On peut assimiler à cette catégorie les
participes passés et présents, qui sont en fait
des adjectifs verbaux :
Il
est devenu prétentieux.
L'affaire
paraissait conclue.
Certains
déterminants employés adjectivement :
Telle
est la vérité.
La vérité est autre.
Des
adverbes employés adjectivement, en nombre très limité :
Mais
tu es très bien comme ça !
Elle
se trouva mal.
Comment
se sent le malade aujourd'hui ?
Des
syntagmes nominaux, prépositionnels ou non, qui sont en fait
assimilables à des adjectifs, car ils ne possèdent
aucun contenu nominal véritable, mais expriment une qualité,
une caractéristique de l'élément décrit
(voir la description sémantique plus loin) :
Cet
article est bon marché.
Patrick
est de bonne humeur.
Une
subordonnée relative attribut du COD, amenée surtout par le verbe
avoir :
Elle
a les yeux qui pleurent.
J’ai
trouvé ma petite sœur qui pleurait.
Critères communs à ces catégories :
— Tout ce qui n'est pas adjectif est remplaçable par un adjectif :
Elle a les yeux rouges.
— Ces mots, ces syntagmes, cette subordonnée peuvent occuper d'autres fonctions adjectivales, comme l’épithète ou l’apposition (épithète détachée) :
Des yeux qui pleurent sont signes de conjonctivite ou de gros chagrin.
— Ces éléments acceptent généralement les indications du degré, comparatif ou superlatif, ou à défaut un adverbe quelconque de degré.
Le malade se sent très bien / mieux qu’hier.
— Ils peuvent se coordonner ou (parfois plus facilement) se juxtaposer à un adjectif, mis à part la relative qui possède une construction particulière :
Il
se sentait bien, de bonne humeur, heureux, en pleine forme...
Un
cheval fougueux, de grande classe, et qui avait gagné de
nombreuses courses.
— Sémantiquement, ils caractérisent le nom.
b) Un nom ou un équivalent :
Un nom
commun, la plupart du temps sans déterminant :
Son père était général.
Un groupe
ou un syntagme nominal (une précision, comme un complément
du nom, peut entraîner l'apparition d'un déterminant) :
Il
est devenu président de la Chambre de Commerce.
Ton
chat est un voleur !
Un nom
propre, exprimant l'identité du sujet ou du complément
d’objet :
Mon oncle s'appelait Maurice. On l'appelait Momo.
Un pronom
parfois, quand cet attribut est précisé (similitude
avec le nom propre) :
Si j'étais vous... (autrefois : Si j'étais que de vous...)
Un
infinitif, souvent quand le sujet est un infinitif lui-même,
et assez souvent introduit par de (marqueur de l'infinitif) :
Crier
n'est pas chanter.
La
difficulté est de trouver un compromis.
Une
subordonnée relative substantivée, en langage assez
familier :
Je suis qui vous savez.
Une
subordonnée conjonctive essentielle ? Quel est le sujet,
quel est l'attribut dans la phrase suivante ?
La vérité est que tu es un menteur.
Une
subordonnée circonstancielle substantivée ?
Même question :
La pauvreté, c'est quand on a perdu ce qu'on aime.
Une
subordonnée interrogative (substantivée) ? Même
question :
La question, c'est si nous pourrons trouver l’attribut.
2) Aspects morphologiques :
a) Adjectif ou équivalent :
L’adjectif s'accorde entièrement, en genre et en nombre, avec le sujet ou le COD dont il est attribut :
Les fillettes étaient joyeuses.
Les adverbes ou les groupes nominaux à valeur adjective restent invariables :
Ils
se sentent bien.
Ces
articles sont bon marché.
b) Nom ou équivalent :
L'accord ne se fait que quand il existe une identité suffisante entre le sujet ou le CO et l’attribut :
Ils
étaient devenus clochards.
Sa
grand-mère était une bonne cuisinière.
Dans les autres cas, le sens ou la catégorie décide si l’accord est possible :
Les
yeux sont le miroir de l'âme.
Ma
passion était de peindre.
3) Aspects distributionnels :
L'attribut est relié au sujet ou au COD par un verbe. Il fait partie du syntagme verbal. Sa place canonique se trouve juste derrière le verbe, sans pause, pour l'attribut du sujet ; l'attribut du COD se place derrière le COD, lui-même derrière le verbe, le tout sans pause (évidemment, si le COD est un pronom personnel, celui-ci sera antéposé au verbe). L'attribut du COD, quand c'est un nom (SN) est le plus souvent de construction indirecte ; rares sont les verbes permettant une construction directe :
On
appelait cet homme le mari de la femme à barbe.
Il
prenait ses amis pour des larbins.
L'adjectif, lui, se construit facilement avec d'autres verbes, sans préposition :
Je le croyais honnête.
Une inversion de l'attribut n'est possible que quand tout risque de confusion est écarté, quand l'attribut est un adjectif par exemple :
Noire était la fumée qui sortait des cheminées.
Mais dans la phrase suivante, l'inversion provoque aussi une inversion sémantique :
Mon voisin est devenu un écrivain célèbre. / Un écrivain célèbre est devenu mon voisin.
Un nom attribut seul est rarement déterminé :
Il a été élu académicien.
Pour qu'il soit déterminé et se constitue en syntagme, il faut en général qu'il soit précisé, par un adjectif, un complément du nom, une subordonnée relative :
Théodore était un brillant savant.
Notons que le syntagme se constituera plus facilement sans adjectif ou autre expansion avec un article indéfini, quand le nom possède une valeur qualificative suffisante :
Ton chat est un voleur !
4) Les relations syntaxiques :
L'attribut est une fonction essentielle, au plus haut degré. En fait, il ne tolère pas d'ellipse : toute phrase dont on supprime l'attribut devient agrammaticale :
*Il
devient.
*Il
est considéré comme.
*Cet
homme semble.
La phrase suivante, quand on supprime l'attribut du COD, change complètement de sens :
Je
le croyais sincère. (c'est un jugement que je porte sur lui)
Je
le croyais. (= je pensais qu'il disait la vérité ;
le verbe perd son caractère attributif)
On distingue au moins deux constructions fréquentes, et une troisième rare :
L'attribut
du sujet :
Cet acteur (sujet) est devenu une vedette (attribut du sujet).
L'attribut
du COD :
On considère cette vedette (COD) comme un grand acteur (attribut du COD).
L'attribut
du COI :
Un impresario astucieux a fait de cet acteur (COI) une vedette (attribut du COI).
5) Aspects transformationnels :
— Une pronominalisation, par pronom personnel neutre ou pronom relatif régime, est possible dans une mise en relief :
Riche,
il l'est devenu certes...
Heureux
qu'il était...
— Quand l’attribut du sujet est introduit par un verbe passif, la transformation active s’opère sans difficulté, et l'attribut du sujet devient attribut du COD :
Il était considéré comme un génie. / On le considérait comme un génie.
6) Description sémantique :
L'attribut ne possède pas d'autonomie sémantique. Mais la liaison sémantique avec le sujet ou le COD est extrêmement forte.
a) Adjectif ou équivalent :
Un élément de type adjectival joue simplement son rôle descriptif, mais par l'intermédiaire d'un verbe : c'est-à-dire qu'il caractérise le sujet ou le complément d'objet. C'est aussi le cas des syntagmes à valeur adjectivale : dans bon marché, il n'est absolument pas question de marché ; l'antonyme du syntagme est l'adjectif cher. L’antonyme de l’adverbe bien peut être l’adjectif laid.
b) Nom ou équivalent :
Un attribut de type nominal assume aussi ce rôle de caractérisation : un renseignement nous est donné sur le sujet ou le CO par l’intermédiaire du verbe.
Un élément nominal est en outre consubstantiel avec le sujet ou le complément d'objet, co-référent, c'est-à-dire qu'il y a identité entre eux : l'acteur et la vedette ne font qu'un, et représentent la même personne (mais on apprend ce qu'est devenu cet acteur, quel est son nouvel état). Les syntagmes à valeur adjectivale ne sont pas consubstantiels avec le sujet ou le COD : Pierre est de bonne humeur ne signifie pas Pierre est une bonne humeur.
Dans certains cas, la caractérisation est réduite à sa plus simple expression, et l’attribut ne fait qu’exprimer l'identité du sujet ou du COD ; c’est le cas des attributs noms propres ou pronoms :
Je
suis Arsène Lupin.
Si
j’étais vous, ma fille,…
c) Le rôle du verbe :
Le rôle sémantique du verbe est très particulier.
On parle traditionnellement de verbes d'état. Qu'est-ce qu'un état ? C'est ce qu'on est. Autrement dit, le verbe être est le seul véritable verbe d'état, au sens propre. Mais c'est aussi le verbe le plus vide de sens qui soit : il ne sert qu'à établir une description, une identité, ou dans d'autres cas une existence. C'est pourquoi, parmi les différentes expressions qui le définissent, la plus exacte est sans doute celle de verbe copule, servant simplement à établir un lien ; l'expression verbe attributif est en effet circulaire : ce qui introduit un attribut est attributif.
L'étude des verbes attributifs permet de distinguer des nuances : état / état apparent / changement d'état / persistance d'un état (être / sembler, paraître / devenir / rester, demeurer + synonymes) :
Il
semble malhonnête. / Il est considéré
comme malhonnête.
Il
est devenu Secrétaire Général. / Il a été
nommé, élu, choisi, coopté comme...
Il
est resté Secrétaire Général. / Il
a été maintenu comme...
Ces différentes nuances nous permettent de reconnaître que les verbes entraînant un attribut du complément d’objet sont des verbes de jugement, de transformation, ou de maintien. Ils ont un sens actif, et, dans la transformation passive, constituent les synonymes des verbes d’état. On peut ainsi considérer que les verbes d’état ont un sens passif ; de même que le verbe être est une sorte d’équivalent passif du verbe avoir, on retrouvera un attribut du sujet derrière être, et un attribut du COD derrière avoir :
Ses
yeux sont bleus.
Elle
a les yeux bleus.
Les verbes d’état et leurs synonymes ne sont pas les seuls à introduire des attributs. A l’occasion, un verbe quelconque peut devenir attributif, et on obtiendra ce que Martin Riegel appelle un « attribut occasionnel » (« Verbes essentiellement ou occasionnellement attributifs », L’Information grammaticale, 10, pp. 23 à 27). Certains auteurs estiment que l’adjectif ainsi construit fonctionne un peu comme un circonstanciel ; si l’on peut effectivement remplacer parfois un adjectif par un adverbe (tranquille / tranquillement, dans l’exemple ci-dessous), cela ne peut expliquer la totalité des cas ; on peut plus simplement considérer que la phrase utilise un raccourci :
La
Seine coulait verte. (Hugo)
Baptiste
veut mourir tranquille.
La signification véritable de ces phrases est :
La
Seine coulait et elle était verte.
Baptiste
veut être tranquille quand il mourra.
Le verbe copule être est sémantiquement si faible qu’il disparaît aisément et autorise ces raccourcis. On constatera que ces attributs restent non supprimables : Baptiste serait certes surpris si l’on comprenait qu’il veut mourir…