I - LES FONCTIONS LIÉES AU VERBE
2 - LE COMPLÉMENT D'AGENT
Le complément d'agent porte le poids d'un loud héritage, car en latin, il s'exprimait par un ablatif précédé de la préposition a ou ab, utilisée également pour certains compléments de lieu. C'est donc presque naturellement que la grammaire traditionnelle, fidèle à l'héritage, l'a classé dans les compléments circonstanciels, et on peut lire textuellement dans les grammaires du début du XXème siècle « Le complément circonstanciel d'agent ».
Pourtant, en indo-européen, cette fonction s'exprimait par l'instrumental, cas disparu en latin, absorbé par l'ablatif, au même titre que le locatif.
Pourtant encore, en latin, les cas ne correspondent pas réellement à des fonctions : ce sont des marques indifférenciées susceptibles de correspondre à plusieurs usages. Ainsi, l'accusatif est utilisé à la fois pour le complément d'objet, l'attribut de l'objet, le complément de lieu avec déplacement, le sujet d'une subordonnée infinitive. « Ablatif » ne signifie donc pas « circonstanciel », d'autant que sa forme est souvent identique à celle du datif.
Exemples d'études effectuées par des grammaires anciennes :
Dans une leçon sur les compléments circonstanciels, les auteurs de la Grammaire Française simple et complète (1909) écrivent :
« Remarque sur le complément des verbes passifs : Le complément du verbe passif indiquant par qui (agent) ou au moyen de quoi (instrument) l'action est faite peut, par suite, être considéré comme un véritable complément circonstanciel. Il est précédé de par, qui indique généralement l'agent ; ou bien de de, qui indique quelquefois l'agent, souvent l'instrument. »
Dans Grammaire et exercices de français (1956), J. Dubois et G. Jouannon traitent dans le même chapitre de « Compléments circonstanciels, compléments d'agent, d'attribution » ; dans l'ordre : Le complément circonstanciel de moyen / Le complément circonstanciel de cause / Le complément d'agent / Le complément circonstanciel de but ou d'intérêt / Le complément d'attribution / Place des compléments circonstanciels.
Définition du complément d'agent : « Il répond aux questions par qui ou par quoi ? posées après un verbe passif. Il exprime l'agent par qui une action est faite. »
Une analyse plus rigoureuse conduit à des conclusions quelque peu différentes.
1) Classe grammaticale :
Le complément est un constituant de type nominal : un syntagme nominal, ou l'un de ses substituts (pronom, nom propre, relative substantivée). C'est une fonction nominale.
2) Aspects morphologiques :
Le complément d'agent n'entraîne ni ne subit aucun accord.
3) Aspects distributionnels :
Ce complément se situe, dans la phrase canonique, obligatoirement derrière le verbe à la voix passive, sans pause, introduit par une préposition qui est le plus souvent par et quelquefois de, quand le verbe s'y prête :
Le directeur était représenté par un de ses adjoints.
Il était entouré de tous ses conseillers.
4) Les relations syntaxiques :
Le complément d'agent est une fonction essentielle ; quand il est présent, on ne peut le retirer sous peine de rendre la phrase agrammaticale ou de rendre l'événement indéfini, voire difficilement compréhensible. Quand il n'est pas exprimé, c'est précisément qu'il est indéfini, ou inutile :
Des travaux seront effectués sur l'autoroute.
(personne n'a besoin de savoir par qui, seul l'entrepreneur lui-même trouvera bon de le signaler, pour sa publicité)
5) Aspects transformationnels :
Quand on remet le verbe à la voix active, le complément d'agent devient sujet, le sujet devient COD, ce qui montre que seuls les verbes transitifs directs peuvent subir une transformation passive :
Les travaux ont été effectués par un artisan > un artisan a effectué les travaux.
Certains verbes comme obéir, réfléchir, penser,
aujourd'hui transitifs indirects, furent autrefois transitifs directs, ce qui
leur permet de connaître encore aujourd'hui la voix passive, et d'être
parfois suivis d'un complément d'agent :
Vous serez obéi de tous.
6) Description sémantique :
L'agent est celui qui effectue l'action. Conformément à la tradition, le complément d'agent se trouve derrière un verbe d'action mis à la voix passive. Le complément d'agent est donc a priori un humain ou un être vivant doué de volonté, susceptible d'accomplir des actions. Pourtant, la réalité ne suit pas toujours ces bons principes :
Un arbre a été déraciné par la tempête.
Nous avons été bouleversés par cette nouvelle.
La tempête possède-t-elle une conscience et une volonté ? Est-elle réellement capable d'actions, ou bien est-ce là une personnification, et de l'anthropomorphisme ? Et la nouvelle ?...
La description trop sémantique de ce complément, comme celle du sujet, conduit à des impasses. Le complément d'agent s'explique beaucoup mieux en termes stylistiques : quel que soit le type de sujet présent dans la construction active, la passivation permet surtout une mise en relief de ce sujet, en même temps qu'une focalisation de la pensée sur l'élément qui a subi la prétendue action. Ainsi, dans le premier des deux exemples précédents, c'est bien à l'arbre que l'on pense d'abord, mais c'est comme si l'on insistait : c'est la tempête qui l'a déraciné. La tournure passive produit ainsi une sorte de double insistance. Elle est aussi particulièrement appropriée, nous l'avons déjà fait remarquer, pour les situations où le sujet actif serait indéfini ou inutile, auquel cas on se dispense de complément d'agent lors de la passivation.