Du bon usage des didascalies
par Claude Schumacher (Glasgow)

Comme vous le savez bien, la notion de « didascalie » est assez récente, même si le vocable remonte à l’antiquité grecque. Le mot, qui signifie, donc, « indication de jeu dans une œuvre théâtrale », n’est entré dans la langue française que dans la deuxième moitié du 18ème siècle, c’est-à-dire depuis un peu plus de deux cents ans. Quant à l’expression « indications scéniques », elle est encore plus récente. Très précisément, par didascalies, j’entends le texte — ou métatexte — écrit par le dramaturge lui-même, à l’exclusion de tout autre surcharge textuelle ajoutée par les éditeurs (comme c’est souvent le cas pour les pièces grecques et latines, et pour le théâtre classique en général).

Au dix-septième siècle, le classicisme français bannissait les indications scéniques (c’est à peine si on en trouve une poignée chez Corneille, Molière et Racine), car le dialogue dramatique devait contenir toutes les informations nécessaires à la compréhension de la fable et à sa représentation. Dans sa Pratique du théâtre, publiée en 1657, l’abbé d'Aubignac écrit :

Toutes les pensées du poète, soit pour les décorations du théâtre, soit pour les mouvements de ses personnages, habillement et gestes nécessaires à l'intelligence du sujet, doivent être exprimées par les vers qu'il fait réciter.

Mais la même année Corneille exprimait un avis contraire dans son Discours sur les trois unités:

Je serais d'avis que le poète prît grand soin de marquer à la marge les mêmes actions qui ne méritent pas qu'il en charge ses vers, et qui leur en ôterait même quelque chose de leur dignité. Le comédien y supplée aisément sur le théâtre ; mais sur le livre, on serait assez souvent réduit à deviner.

Pour nous, étudiants de théâtre, il est fort dommage que Corneille n’ait pas suivi ce principe : l’eût-il fait nous aurions une idée beaucoup moins enténébrée de la vraie pratique du théâtre classique. Malheureusement, la tyrannie académique l’a emporté... La remarque cornélienne souligne deux points très importants :

En passant, notons les deux ou trois indications scéniques qui se trouvent dans les tragédies de Racine. Dès sa première entrée, après quatre vers haletants, Phèdre s’assied :

Cette indication, « Elle s'assied », est unique dans la tragédie, et elle pourrait paraître superflue. Mais une reine qui s’assied n’était pas chose courante, et Racine tenait à souligner ce fait extraordinaire : elle ne s’assied pas royalement en majesté, mais par faiblesse. Quel contraste avec la transgression protocolaire d’Agrippine (Britannicus, Acte IV, sc. II) qui s’installe sur le trône de son fils, avant de l’inviter auprès d’elle, comme si Néron partageait encore son pouvoir avec elle. L’action d’Agrippine n’est pas contenue dans le dialogue, mais elle est essentielle au drame qui se joue. Donc, comme Corneille le demande, cette action doit impérativement être « marquée » puisque sans elle ni le lecteur ni le spectateur ne saisirait l’importance de l’enjeu.

Le troisième et dernier exemple racinien est encore plus étonnant. Lorsque dans la dernière scène de Bazajet, Atalide, l’amante du prince, apprend la mort de celui-ci, elle se tue en scène – ce qui est contraire à tout ce que nous avons toujours appris sur le théâtre classique ! Et non seulement elle se poignarde sous les yeux des spectateurs, mais l’auteur a recours à une didascalie (« Elle se tue.»), car cette action n’est pas implicite dans le texte. Sa suivante nous informe bien qu’« elle expire », mais sans révéler la raison de cette mort.

Bien que d'Aubignac ait intitulé son ouvrage Pratique du théâtre, l’abbé traitait le théâtre comme une branche de la poésie, mais Racine ne se souciait guère de l’orthodoxie classique quand les impératifs de l’action ne pouvaient s’en accommoder. Molière, lui, fait figure de moderne et il sépare très précisément le texte de la mise en scène (terme qui n’a acquis son sens moderne qu’à la fin du dix-neuvième siècle). Dans son avis « Au lecteur », de L'Amour médecin, Molière écrit :

Il n'est pas nécessaire de vous avertir qu'il y a beaucoup de choses qui dépendent de l'action. On sait bien que les comédies ne sont faites que pour être jouées.

« Jouées », et non pas lues ; et il ne recommande la lecture du théâtre qu’aux gens qui ont de l’imagination :

Je ne conseille de lire [cette pièce]qu'aux personnes qui ont des yeux pour découvrir dans la lecture tout le jeu du théâtre.

Dommage que Molière ait fait confiance à ses lecteurs, sinon il aurait peut-être décrit « tout le jeu du théâtre » de ses comédies, et comme avec Corneille, nous aurions une meilleure connaissance de la pratique scénique, et une compréhension plus profonde de ces comédies si ambiguës que sont Tartuffe, Don Juan, Le Misanthrope, ou L'Avare. On pourrait en dire autant, bien sûr, de la commedia dell'arte, des théâtres de Marivaux, Voltaire ou Beaumarchais, en bref de tout le théâtre joué jusqu’à l’époque naturaliste, au travail d’Antoine et l’avènement du metteur en scène.

Laissons maintenant ces considérations par trop théoriques, et prenons quelques exemples pratiques de « jeux du théâtre », tels que j’ai pu en faire l’expérience.

En 1959 j’étais un jeune acteur au Théâtre populaire romand, en Suisse française, et nous répétions La Cruche cassée de Kleist, dans une traduction d’Arthur Adamov, texte largement dépourvu d’indications scéniques. « D’habitude », la pièce de Kleist est soit montée en farce ou en drame social (voire en pièce à thèse), selon la mise en scène (c’est-à-dire, selon les jeux du théâtre). Au centre de l’action se trouve le juge Adam qui préside un procès pour tentative de viol, et la seule pièce à conviction est la cruche cassée du titre, que la plaignante a écrasée sur le crâne de son agresseur. Comme vous le savez, le coupable est le juge lui-même et il s’efforce d’accuser le fiancé de la jeune fille victime de son « attention ». Dans la société allemande du début du 19ème siècle, le juge pouvait espérer réussir dans son entreprise scélérate, mais il a un gros problème : il est chauve et il porte une blessure sur son crâne qu’il ne peut pas cacher car une de ses perruques est chez le perruquier, et l’autre est occupée par une portée de chats ! Et ce qui est pire encore, c’est qu’un inspecteur judiciaire, le conseiller Walter, est en tournée et qu’il a décidé d’assister au procès, durant lequel il joue un rôle totalement passif. C’est moi qui jouait Walter, et pendant de longues répétitions, je n’avais strictement rien à faire (ni l’auteur ni le metteur en scène ne s’occupaient de mon jeu). Un dimanche après-midi, j’ai mis la main dans une poche de mon par-dessus, et j’en ai sorti des cacahuètes que j’ai joliment disposées devant moi ; puis tranquillement, je les ai décortiquées et je me suis mis à les grignoter, sans trop me préoccuper de ce qui se passait. Tout à coup le metteur en scène, un individu colérique, braille : « Formidable, parfait, très bien, Claude, continue! » Oh ! merde, je me suis dit, voilà les ennuis qui commencent... Mais il n’était ni ironique ni en colère, il était ravi de mon « invention » : l’inspecteur de justice, assis côte à côte avec le juge, mâchouillant tranquillement ses cacahuètes, donnait la fausse impression qu’il se désintéressait de l’affaire, mais les spectateurs, le voyant de face, se rendait compte que pas un mot, pas un geste ne lui échappait. Toutes les critiques du spectacle ont mentionné ce jeu de scène ; certains ont même écrit qu’il était au cœur de la conception de la mise en scène. Ce n’est qu’un exemple d’un jeu de théâtre auquel l’auteur n’aurait jamais pensé, mais qui fut porteur de sens et riche de théâtralité.

Quatre ans plus tard, nous sommes en 1963, je mettais en scène pour la première fois une pièce d’un auteur contemporain, avec qui je pouvais collaborer directement : il s’agit de La Cage, du Suisse Bernard Liègme, un ami avec qui j’ai eu grand plaisir de travailler. L’action La Cage, écrite en 1958, est située dans un camp de personnes déplacées, immédiatement après la Deuxième Guerre mondiale, et trois vieux loufoques fort décrépis (Arthur, Tatzelwurm, et Ariana) s’y créent des vies de fantaisie. Selon les moments, le style de jeu est soit banal ou lyrique, parodique ou tragique. Les répétitions avançaient bien et nous nous amusions beaucoup, et j’ai pensé que le moment était venu d’inviter l’auteur et de profiter de ses conseils. La vieille Ariana – qui est décrite comme « une femme fatiguée, fripée » – s’imagine que Tatzelwurm, qui vient d’arriver au camp, est un héros, un général victorieux… et elle se met en tête de le séduire. Les indications scéniques de Liègme disent :

(Souvenez-vous que ce texte date des années 50 quand la « phallocratie » s’exhibait encore sans complexe — ou presque, comme vous allez le voir !)

Donc, l’actrice jouant Ariana, en un costume fait de lambeaux de robes datant du début du siècle, tournait autour de Tatzelwurm et se frottait à lui, mais sans aucun succès. Et finalement, n’en pouvant plus, elle lui suggère d’enfoncer ses bottes entre ses jambes, et elle s’étale, jambes écarquillées, sur le sol, comme le laisse entendre l’auteur quand il dit de ses personnages :

Arthur, Tatzelwurm, Ariana sont des êtres de chair, non des pantins. Ils ont un passé, ils respirent, ils pleurent, ils rient, ils se réjouissent, s'impatientent, se fâchent.

Mais que croyez-vous qu’il advînt ? L’auteur fut horrifié, et il quitta le théâtre sans un mot. Le lendemain il me demanda si je n’avais pas honte de faire jouer une actrice avec une telle indécence... Nous avons passé outre, et il n’y eut pas de scandale. (En fait notre jeu ne comportait aucune indécence : la jeune actrice de 23 ans campait une magnifique folle de 70 ans et tout se passait dans une espèce de rêve fantasmagorique !) Lorsque le texte fut publié en 1972, les didascalies y figurèrent comme je viens de vous les lire. Ceci n’est qu’un exemple d’un auteur qui ne considère pas toutes les conséquences de son texte, avant que la mise en scène ne vienne matérialiser son imagination – et il peut souvent y avoir un gouffre entre texte écrit et représentation. Mais il est impératif que les lecteurs, et surtout les metteurs en scène, lisent attentivement tout le paratexte pour nourrir leur imagination théâtrale.

Selon le lieu et le temps, les didascalies acquièrent d’autres significations. Les conventions de jeu, elles aussi, évoluent, mais le texte imprimé reste immuable. Il serait donc faux de vouloir suivre aveuglément les indications de l’auteur. En 1971, j’ai mis en scène Les Justes de Camus à l’Université de Manchester (en traduction anglaise). J’avais décidé de monter la pièce dans une configuration « en rond » pour augmenter l’impact émotionnel de la tragédie, et j’ai expliqué mon choix et ses raisons à mes acteurs – qui semblaient satisfaits. Mais le lendemain de la première lecture, la jeune actrice qui allait jouer Dora est venue me trouver, tout agitée et vraiment inquiète (elle avait relu la pièce immédiatement) et elle m’a déclaré qu’il était impossible de monter Les Justes en rond.

Comme vous le savez, l’action des Justes est basée sur un fait historique: l’assassinat du Grand-Duc de Moscou par un groupe d’anarchistes, en 1905. Dans la version de Camus, il y a deux terroristes, extrêmement attachants, sympathiques et pleins de scrupules. Ce sont Dora et Yanek, qui vivent aussi un amour douloureux car ils se refusent toute satisfaction (et douceur) pour ne pas contrarier leur idéal révolutionnaire. C’est Yanek qui a été choisi pour jeter la bombe sur le Grand-Duc : il sera arrêté et condamné à mort. Au cours du cinquième acte, Dora attend avec ses camarades l’annonce de l’exécution d’Yanek. Lorsque, enfin, Dora apprend la mort de son ami, Camus écrit qu’« elle se jette contre le mur ». Mon actrice avait raison : si tu joues en rond, tu ne peux pas te jeter contre un mur.

J’ai répondu à son objection, qu’à mon avis, les didascalies de Camus étaient déplacées dans le contexte culturel de 1971, d’autant qu’après s’être jetée contre le mur, Camus écrit que Dora parle « d'une voix égarée » et qu’enfin elle hurle. Toute cette théâtralité était parfaitement acceptable en 1949 (date de la création des Justes) surtout si l’on se souvient que c’est Maria Casarès qui a créé le rôle. Mais 22 ans plus tard, après Brecht et Beckett, Vilar et Planchon, un tel exhibitionnisme mélodramatique serait ridicule. J’ai donc demandé à « ma » Dora de dire son dernier monologue, qui est si poignant, sans la moindre trace d’émotion, sans le moindre mouvement, comme si toute vie l’avait abandonnée :

Ne pleurez pas. Non, non, ne pleurez pas ! Vous voyez bien que c'est le jour de la justification. Quelque chose s'élève à cette heure qui est notre témoignage à nous autres révoltés ; Yanek n'est plus un meurtrier. Un bruit terrible ! Il a suffi d'un bruit terrible et le voilà retourné à la joie de l'enfance. Vous vous souvenez de son rire ? Il riait sans raison parfois. Comme il était jeune ! Il doit rire maintenant. Il doit rire, la face contre la terre !

Le travail d’intériorisation auquel s’était livré l’actrice pour canaliser une émotion qu’elle pouvait à peine retenir a eu des effets dévastateurs sur les spectateurs qui n’avaient plus honte de sortir leur mouchoir. Si nous avions suivi Camus, ces mêmes spectateurs auraient reconnu le côté histrionique du jeu et n’auraient pas été touchés – ou beaucoup moins, mais il était très important que l’actrice eût connaissance des intentions de l’auteur pour arriver à l’intensité requise par la situation paroxystique.

Le même sentiment fut exprimé par Paul Claudel, dans une lettre au metteur en scène de L’Annonce faite à Marie  :

« Pas de grimaces ni de contorsions. Dans les moments pathétiques, la lenteur tragique d’un mouvement qui de déploie vers son terme est préférable à toutes les explosions. Mais là aussi il faut se garder de la manière et de l’affectation et consulter sa nature. » (Paul Claudel, Œuvres complètes, Gallimard, 1960, vol. IX, p. 258.)

Arlette Namiand, dans Surtout quand la nuit tombe, écrit en 1983, fait un usage tout à fait singulier (et nouveau) des indications scéniques, qui prennent la valeur d’un récit parallèle. Dans sa préface, Namiand écrit :

Le récit qui court tout au long de la pièce entre les dialogues doit faire partie intégrante du spectacle mais je n'ai pas précisé davantage sous quelle forme ; je préfère laisser ce choix s'imposer en cours de répétitions.

L’action de Surtout quand la nuit tombe se passe dans un hôtel maternel de la banlieue parisienne. Trois filles enceintes, de quinze à dix-sept ans – seule, abandonnée ou en cavale – attendent la naissance de leur enfant dans ce cadre institutionnel. La pièce est divisée en six scènes qui se déroulent sur six dimanches soirs au cours desquels Samia, Monika et Gil expriment leurs frustrations, leur colère et leur rage, mais aussi leurs tristes rêves et leur espoir d’une vie meilleure. Le jeu des actrices doit être au paroxysme de leurs émotions presque tout au long de la pièce – si le spectacle est réussi, l’expérience théâtrale sera à la limite du supportable, pour les actrices et pour les spectateurs. Paradoxalement, pour rendre les émotions encore plus concrètes, Arlette Namiand a introduit une espèce de coryphée dont le rôle est de prolonger et de transmettre les émotions exprimées par les actrices. L’inclusion de ce « récit » recherche l’effet contraire à celui du narrateur/chanteur dans Le Cercle de craie caucasien de Brecht ! ici le récit nous rapproche des personnages, les rend encore plus réels et augmente notre sympathie pour eux.

La scène finale réunit les trois jeunes mères après leur accouchement : elles ne rêvent plus, mais savent pertinemment qu’une existence douloureuse les attend. Une dernière fois elles crient leur colère, avant de sombrer dans une résignation qui, pour le spectateur, devient intolérable. Elles s’éloignent les unes des autres, physiquement et émotionnellement, pendant que la scène s’assombrit. Elles ne font que balbutier quelques formules désenchantées. Au lieu d’un dialogue final structuré, Namiand fait porter l’essentiel sur le récit « paratextuel » et transforme ainsi ce qui pourrait paraître une scène convenue en un poignant poème, tant murmuré qu’incarné :

L’image de trois arbres incendiés le long de routes désertes et dont personne ne se soucie est d’une justesse et d’une tristesse admirables, et d’une force toute particulière à cause de l’adéquation parfaite entre forme et contenu, et c’est pour cette raison que le spectateur ne ressent pas l’énonciation des indications scéniques comme une intrusion étrangère à la fable, mais la reçoit comme une composante nécessaire. Pour l’anecdote, lorsque nous avons monté Surtout quand la nuit tombe à Glasgow en 1986 nous avons confié la majeure partie du récit au personnage de l’infirmière (qui est pratiquement inexistant), et nous l’avons parfois diffusé par haut-parleur (je crois qu’en français moderne on appelle ça une « voix-off »).

Un autre cas de figure, très original, est représenté par Michel Vinaver. Dans certaines de ces pièces, Vinaver non seulement se passe de toute indications scéniques (et de ponctuation), mais il omet même d’attribuer les répliques à un personnage. Dans A la renverse, par exemple, une pièce publiée en 1980, et qui met en scène la guerre implacable que se livrent deux fabricants de parfumerie, les sept dernières pages ne contiennent pas la moindre attribution, mais le texte lui-même est divisé d’une manière fort compliquée (à la limite du compréhensible) en récit et une succession de courtes répliques sans lien apparent entre elles. Ici, par exemple, le récit raconte :

Les grands couturiers ont lancé la mode de la peau blanche
Courrèges puis Dior Cardin le coup de grâce

Et le « dialogue » dit :

Quand j’ai demandé à Vinaver si ceci n’était pas une coquetterie d’auteur pour jouer à l’original, il m’a répondu qu’il ne savait honnêtement pas qui disait quoi, qu’il ne se souciait pas à qui attribuer telle réplique, mais qu’il savait que c’était cette réplique-là qui devait être dite à ce moment précis ! Cette attitude est particulièrement paradoxale venant de Vinaver qui s’insurge contre l’hégémonie du metteur en scène qui, selon lui, usurpe, depuis les années 40, le rôle de créateur au théâtre, rôle que seul le dramaturge peut assumer.

Comme Vinaver, Ionesco ne supportait que rarement l’intervention du metteur en scène dans la création de ses œuvres, car il était persuadé que ce dernier ne s’intéressait nullement à la pièce (à sa forme ou à son message), mais qu’il ne cherche qu’à se faire valoir au détriment de l’auteur.

C'est quand le metteur en scène est apparu, dit Ionesco, que tout s'est gâché. Le metteur en scène est une superfétation. Il s'arroge jusqu'au droit de modifier l'auteur. Il se substitue à lui. L'auteur n'a plus rien à dire. Sous l'influence du metteur en scène, le théâtre n'est plus, à proprement parler, un art.

Pour tenter de juguler ce nouveau barbare, Ionesco a écrit de nombreux textes supplémentaires (que l’on peut considérer comme des « indications scéniques » qu’il aurait aimées contraignantes). De même Genet, après la mise en scène de Jouvet des Bonnes, a publié une série de réflexions fort intéressantes sous le titre de Comment jouer Les Bonnes, parce que, disait-il, Jouvet n’avait rien compris à sa pièce. Il est évident que, quel que soit le choix artistique du metteur en scène d’aujourd’hui, la lecture de Comment jouer Les Bonnes s’impose avant de monter la pièce.

A l’autre extrême, nous trouvons Fernando Arrabal qui déclare : « Une fois écrite, dit-il, la pièce ne m'appartient plus », et que le metteur en scène se débrouille.

Claude Schumacher