Le trou noir

vue d'artiste
(vue d'artiste)

La notion de trou noir, née à la fin du XVIIIème siècle et développée au début du XXème, est courante en astronomie — et par métaphore dans bien d'autres domaines, mais n'est pas sans soulever un certain nombre d'interrogations philosophiques.

D'abord, si l'on prend la peine de qualifier un trou de noir, cela sous-entend qu'il peut exister des trous blancs, rouge vif, bleu marine ou vert caca d'oie. Un trou peut-il être d'une autre couleur que le noir ?
Le noir correspond à l'absence totale de rayonnement lumineux : c'est un trou qu'on ne voit pas. On peut penser qu'on le distinguerait comme le nez au milieu de la figure s'il était jaune d'oeuf ou bleu métallisé. Or, il est si infiniment petit qu'il est rigoureusement impossible d'en distinguer la couleur. Si ça se trouve, à l'intérieur, c'est un véritable feu d'artifice d'arc-en-ciel, mais le spectacle reste réservé aux initiés, ceux qui ont acheté leur billet sans se rendre compte qu'il s'agissait d'un aller simple.

Comment décrire les caractéristiques de ce qu'on ne peut voir ? C'est une démarche aussi vaine de vouloir détailler la forme, le poids et l'étendue du Néant. Néanmoins, depuis des millénaires, des gens se sont évertués à décrire l'invisible. Le trou noir est au monde moderne ce que l'âme est au monde classique, ou le dahu à celui des scouts, à la différence que le dahu ne vous avale pas tout cru quand vous le rencontrez. Le trou noir est d'une certaine façon à ranger sur la même étagère que le Père Noël, qui, on le sait, est rouge. Ou que les petits bonshommes verts, qui sont généralement gris.

S'il existe un trou noir, on peut simplement supposer qu'il est quelque part ; tout imprudent qui s'en rapprocherait pour le vérifier disparaîtrait sans avoir le temps d'envoyer son rapport à la NASA. Imaginez : vous jouez à cache-cache aux environs de Betelgeuse, et votre copain arcturien se volatilise sans crier gare. Vous en concluez qu'il est bien caché. Est-il pour autant parti dans l'infra-monde ? Vous ne le saurez jamais. De toute façon, c'est vous qui avez perdu.
A l'inverse, tout ce qui disparaît mystérieusement a-t-il forcément été avalé par un trou noir ? Par exemple, depuis ce matin, je n'arrive pas à mettre la main sur mes lunettes, ai-je une chance de les retrouver un jour ? Tant que je ne me suis pas rendu compte qu'elles sont sur mon nez, je peux accuser un ogre spatial, un mini-trou noir, comme disent les physiciens, d'être passé par là. Il en est de même du billet de 50 euros que j'avais laissé sur mon bureau avant-hier.

Au fond, c'est bien pratique, d'ailleurs. Car plus rien de ce que je perds n'est plus désormais de ma faute. Si j'avais un trou noir à ma disposition, j'y jetterais mes feuilles d'impôts et mes PV de stationnement interdit : personne ne pourrait témoigner de ma forfaiture.
Le crime parfait.  Pas de témoin, pas de traces. Bien mieux que les puits de perte à l'ancienne, fussent-ils sans fond. A côté, la Roche Tarpéienne ou les fosses à merde dans lesquelles Tchang Kaï-Chek noyait ses prisonniers relèvent de l'amateurisme.

Je ne peux toutefois pas terminer cette page sans la réactualiser, et rendre hommage aux scientifiques qui en ont déniché un de toute beauté en avril 2019, appelé désormais du nom hawaïen Powehi qui signifie « source sombre embellie de création sans fin », tout un programme. Il se trouve au centre de la galaxie géante M87, à 50 millions d'années-lumière. Il est au centre de l'image, et le halo rouge est constitué de la matière qui orbite à une vitesse folle avant d'être avalée. Les trous noirs sont maintenant reconnus non seulement comme destructeurs mais comme créateurs, puisqu'ils sont à l'origine de la formation des galaxies. Celui qui gère la Voie Lactée pèse autant que 4,2 millions de soleils, c'est un bébé à côté de Powehi qui pèse 6,5 milliards de soleils. Les trous noirs sont fascinants, parce qu'ils sont à la jonction de la Relativité Générale et de la Physique Quantique, et parce que le temps s'arrête en leur sein, et qu'ils sont donc à la fois le passé et le futur de notre univers.