La RIENOLOGIE

 


Qu'est-ce que la rienologie ?

La notion de rienologie est attestée depuis le XIXème siècle, quand Honoré de Balzac lui donne ses lettres de noblesse en qualifiant un certain Schmock de rienologue.
«
Un illustre auteur, écrit ainsi Balzac, prépare un Traité de Rienologie où les particularités du Rentier seront très-amplement décrites. » (Œuvres div., t. 3, 1840, p. 210).
En 1864, Barbey d'Aurevilly décrivait son père,
« toujours dans sa chambre à rienner », ce qui semblerait indiquer que la riennerie se pratiquerait principalement en milieu confiné.
Le rienologue est aussi appelé rieniste, par exemple sous la plume d'Anatole France en 1907.

La rienologie est donc manifestement une science qui est née, ou s'est développée au XIXème siècle, à l'instar de la physique centrale, de la chimie sinueuse ou de l'astrologie mécanique. La pataphysique, elle, n'apparaîtra qu'au siècle suivant : c'est en 1948 que le professeur Jarry fondera le Collège de Pataphysique, qui se donna par exemple pour objectif d'étudier l'ascension du vide vers une périphérie, ou de calculer la surface de Dieu.

La rienologie consiste à étudier le Rien : le scruter sous toutes ses facettes, avec les instruments adaptés, en élaborant les théories adéquates et en effectuant les expériences de vérification, ce qui est la base de toutes les sciences. On voit ci-dessous à quoi ressemblait un laboratoire de rienologie au XIXème siècle, aux tout débuts de cette science :

On y voit les rienologues en plein effort, s'efforçant de traquer le Rien dans les objets d'étude les plus divers. Le personnage à droite serait le Docteur Schmock en personne, occupé à rédiger son traité. A gauche, l'expérimentateur utilise l'une des toutes premières pompes à Néant. D'autres scrutent le cerveau humain, où le Rien se dissimule dans les moindres replis de matière grise ; l'un d'eux pèse même un cerveau dans une balance à non-valeur : si la différence est nulle par rapport au poids-type, c'est que le cerveau est gorgé de Rien. Un autre observe, dans un bocal de formol, un fœtus de politicien — on sait qu'il s'agit là d'une espèce en voie de non-disparition spécialisée dans le rien-dire, le rien-faire ou le parler-pour-rien. Le musée représenté ci-après expose une momie de politicien adulte entouré d'animaux disparus, ce qui prouve que l'espèce remonte pour le moins au paléolithique.

A l'époque, cependant, le modèle d'espèce particulièrement douée en riennerie était le Rentier, chez lequel, selon Balzac, les savants les plus connus, « et autres individus de la Tribu des Chercheurs, n'y ont pas, malgré leurs essais, découvert les rudiments de la pensée ». Au XXIème siècle, l'évolution darwinienne a métamorphosé cette espèce en financier, voire en spéculateur, deux sous-espèces dont l'utilité sociale est reconnue comme absolument nulle.
Quant au politicien, il continue à prospérer dans sa rienitude, car l'environnement n'a jamais été aussi favorable pour lui avec l'extension quasi mondiale des pseudo-démocraties, dans lesquelles le vide de la parole se marie avec la vacuité de la pensée, les lacunes de la culture, l'absence de volonté, la négation des engagements, l'inexistence des programmes, langue de bois et poudre aux yeux constituant les deux ressorts de cette non-activité.

Illustrations de Grandville, 1803-1847, réalisées pour Balzac